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8. Néanmoins, comme il devait à la fin des siècles glorifier ses fidèles, il a mis dans ce siècle même sa croix en honneur ; et les princes de la terre qui croient en lui ont interdit de condamner aucun coupable au supplice de la croix ; et l’instrument de mort auquel les Juifs ses bourreaux ont attaché le Seigneur avec tant d’insolence, est porté maintenant sur le front et avec beaucoup de gloire par ses serviteurs et par les rois mêmes ; en sorte que l’on ne voit plus autant combien était humiliante la mort qu’il daigna endurer pour nous et à laquelle fait allusion l’Apôtre quand il dit : « Pour nous il s’est fait a malédiction[1]. » Lorsque l’aveugle fureur des Juifs lui insultait jusque sur la croix, il pouvait sans doute en descendre, puisque s’il ne l’avait voulu, on ne l’y aurait point attaché : mais il était mieux de sortir vivant du tombeau que de descendre de la croix. Par ces œuvres divines et ces souffrances humaines, par ces miracles sensibles et cette patience dans les douleurs corporelles, le Sauveur nous presse de croire et de nous guérir, afin de pouvoir contempler ces invisibles réalités, étrangères à l’œil de la chair. C’est dans ce but qu’il a guéri les aveugles dont il vient d’être question dans la lecture de l’Évangile. Mais voyez ce qu’enseigne cette guérison à l’âme malade.

9. Observez d’abord le fait en lui-même et la suite des circonstances. Ces deux aveugles étaient assis sur le chemin et entendant passer le Seigneur ils criaient pour éveiller sa compassion. Mais la foule qui l’accompagnait leur imposait silence ; ce qui, croyez-le bien, n’est pas sans mystère. Et plus la foule leur imposait silence, plus ils continuaient de crier. Ils voulaient être entendus du Seigneur, comme si lui-même n’eût connu d’avance leurs pensées – mêmes. Ainsi ces deux aveugles criaient pour se faire entendre de lui, et les efforts de la foule ne purent les empêcher. Le Seigneur passait, et eux criaient ; le Seigneur s’arrêta, et ils furent guéris ; car il est écrit : « Le Seigneur Jésus s’arrêta, puis il les appela et leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Que nos yeux s’ouvrent, répondirent-ils. » Le Seigneur fit ce que demandait leur foi et leur rendit des yeux. Si déjà nous avons vu une âme malade, une âme sourde, une âme morte, examinons si elle n’est pas aveugle aussi. L’œil du cœur est donc fermé, et Jésus passe pouf nous exciter à crier. Jésus passe, qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il fait des choses temporelles. Jésus passe, qu’est-ce à dire ! C’est-à-dire qu’il fait des actes passagers. Examinez et reconnaissez combien de ses actes sont de cette nature. Il est né de la Vierge Marie ; en naît-il toujours ! Enfant il a pris son lait ; le prend-il encore ? Il a grandi à chaque âge jusqu’à la maturité ; sou corps se développe-t-il toujours ? En lui la seconde enfance a succédé à la première, l’adolescence à la seconde et la jeunesse à l’adolescence ; ses âges ont passé, ils ont disparu. Ses miracles mêmes ont passé. On les lit et on y croit, et s’il a fallu les écrire pour permettre de les lire, c’est qu’ils passaient en s’accomplissant. Mais ne nous arrêtons pas à tout : il a été crucifié ; est-il toujours attaché à la croix ? Il a été enseveli, il est ; ressuscité, il est monté au ciel, il ne meurt plus, et la mort n’aura plus d’empire sur lui, et sa divinité demeure éternellement, et l’immortalité même de son corps n’aura jamais de fin. Il n’en est pas moins vrai que tout ce qu’il a fait dans le temps est passé. On l’a écrit pour le faire lire et on le prêche pour amener à y croire. Dans tout cela donc c’est Jésus qui passe.

10. Et que représentent ces deux aveugles près du chemin, sinon les deux peuples que Jésus est venu guérir ? Montrons ces deux peuples dans les saintes Écritures.« J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, est-il dit dans l’Évangile ; il faut aussi que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur[2]. » Quels sont donc ces deux peuples ? L’un est le peuple juif, et l’autre le peuple des gentils. « Je ne suis envoyé, dit encore le Sauveur, que vers les brebis égarées de la maison d’Israël. » A qui parlait-il ainsi ? A ses disciples, et cela au moment même où cette femme de Chanaan qui avoua qu’elle n’était qu’un chien, criait pour obtenir les miettes tombées de la table de ses maîtres. Elle les obtint : d’est-ce pas ce qui fait connaître les deux peuples que venait sauver Jésus ? Le peuple juif n’est-il pas désigné pas ces mots : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël ? » Et la gentilité n’était-elle pas représentée par cette femme que le Seigneur avait d’abord repoussée en lui disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants ; » et qui lui

  1. Gal. 3, 13
  2. Jn. 10, 16