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Combien aussi le Seigneur ne voyait-il pas de sourds devant lui lorsqu’il disait : « Entende, celui qui a des oreilles pour entendre [1] » Eh ! qui donc était alors sans oreilles devant lui ? Il demandait, par conséquent, l’attention de l’oreille intérieure.
4. De quels yeux parlait-il aussi en s’adressant à des hommes qui corporellement n’étaient pas aveugles ? « Seigneur, lui disait Philippe, montrez-nous votre Père et cela nous suffit. » Ah ! il avait bien raison de dire que la vue du Père pourrait nous suffire ! Comment toutefois le Père lui aurait-il suffi, puisque l’Égal du Père ne lui suffisait point ? Pourquoi ? Parce qu’il ne le voyait pas. Et pourquoi ne le voyait-il pas ? C’est que l’œil qui aurait pu le lui découvrir n’était pas encore suffisamment guéri. Il voyait dans l’humanité du Seigneur ce qui se révélait aux yeux du corps, ce que voyaient en lui, non-seulement les fidèles disciples, mais encore les Juifs ses bourreaux. Mais Jésus demandait qu’on le vit autrement ; il cherchait d’autres regards. Aussi après avoir entendu ces mots : « Montrez-nous votre Père et cela nous suffit ; » il répondit : « Je suis depuis si longtemps avec tous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. » Afin donc de guérir les yeux de la foi, il adresse à la foi des avertissements qui pourront la mettre en état d’arriver à la claire vue. Car pour détourner de Philippe l’idée qu’il y a en Dieu ce qu’il voyait dans le corps de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il ajouta aussitôt : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi[2]. » Il avait dit auparavant : « Eu me voyant on voit mon Père ; » mais l’œil de Philippe n’était pas encore en état de voir le Père ; ni par conséquent de voir le Fils égal au Père ; et le regard de son âme étant malade encore et incapable de fixer une si vive lumière, le Seigneur entreprenait de le guérir et de le fortifier en y appliquant le remède et le collyre de la foi. Dans ce but il disait : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ? » Ainsi donc ; si l’on est incapable encore de contempler ce que le Seigneur doit mettre à découvert, au lieu de chercher d’abord à voir pour croire, il faut s’appliquer à croire et à guérir par ce moyen l’œil qui permettra de voir. Le regard corporel ne voyait dans le Sauveur que sa nature d’esclave. Égal à Dieu sans avoir rien usurpé, s’il avait pu être considéré dans cette égalité même par les hommes qu’il venait guérir, quel besoin aurait-il eu de s’anéantir et de prendre cette nature de serviteur [3] ? Mais incapables devoir Dieu nous pouvions voir l’homme ; c’est pourquoi celui qui était Dieu s’est fait homme, afin que ce qu’on voyait en lui mit en état devoir ce qu’on n’y voyait pas. Aussi bien dit-il ailleurs : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu[4]. » Philippe aurait pu répondre sans doute : Mais je vous vois, Seigneur ; le Père est-il donc comme ce que je vois en vous ? Pourquoi alors avez-vous dit : « Qui me voit, voit aussi mon Père ? » Avant donc que Philippe fît cette réponse ou même en eut l’idée, le Sauveur après avoir dit « Qui me voit, voit ; aussi mon Père », ajouta incontinent : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ? » L’œil intérieur de l’Apôtre ne pouvait voir ni le Père, ni le Fils égal au Père, et pour l’en rendre capable il fallait le laver avec l’eau de la foi. Toi donc aussi, afin de voir un jour ce dont tu es incapable aujourd’hui, crois ce que tu ne vois pas encore. Pour arriver à la claire vue, marche par la foi ; car si la foi ne nous soutient sur la route, la claire vue ne fera pas notre bonheur dans la patrie. « Tant que nous sommes dans ce corps, dit en effet l’Apôtre, nous voyageons loin du Seigneur : » et pour expliquer comment nous voyageons loin du Seigneur, tout croyants que nous sommes, il ajoute aussitôt : « Car c’est par la foi que nous marchons et non par la claire vue[5]. »
5. Aussi, mes frères, toute notre application durant cette vie doit être de nous mettre en état de voir Dieu, en guérissant l’œil du cœur. Tel est le but qu’on se propose dans la célébration des saints mystères, dans la prédication de la parole de Dieu, dans les exhortations morales ; c’est-à-dire dans les exhortations adressées par l’Église pour porter à l’amendement des mœurs, à la correction des convoitises charnelles et pour déterminer à renoncer au siècle non-seulement de vive voix, mais aussi par le changement de la vie ; tout le dessein que poursuivent les divines Lettres est de purifier notre intérieur de tout ce qui nous empêche d’arriver à contempler Dieu. L’œil du corps est destiné à voir cette lumière sensible, lumière céleste sans doute, mais pourtant matérielle et sensible ; l’œil est destiné à voir cette

  1. Mat. 11, 16
  2. Jn. 14, 8-10
  3. Phi. 2, 6. 7
  4. Mat. 5, 8
  5. 2Co. 5, 6-7