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SERMON LXXXVI. LE TRÉSOR CÉLESTE OU L’AUMÔNE[1].

ANALYSE. – Ne croyez pas qu’en nous pressant de donner aux pauvres Dieu nous commande de perdre ce que nous possédons. C’est au contraire un moyen de conserver, d’augmenter même considérablement nos richesses ; car Dieu se charge alors de les garder, c’est à lui que nous prêtons et il nous rendra le tout avec de magnifiques intérêts. – L’aumône est donc le secret de contenter et d’accorder entre elles deux passions bien contraires, l’avarice et la sensualité. L’avarice veut que l’on conserve, que l’on amasse pour soi ou pour ses enfants. Combien il lui arrive souvent d’être déçue dans ses calculs ! Mais en faisant l’aumône on conserve sûrement ; elle est même un moyen d’assurer aux enfants un immortel héritage. Quant à la sensualité, combien elle se trompe encore en voulant jouir de ce qu’elle possède, puisqu’elle est destinée à un si douloureux avenir ! Ne vaudrait-il pas mieux donner aux pauvres et s’assurer l’éternel bonheur ?

1. Dans le passage que nous venons d’entendre, l’Évangile nous invite à entretenir votre charité du trésor céleste. Les infidèles avares s’imaginent que notre Dieu exige de nous le sacrifice de ce que nous possédons ; il n’en est rien. Ah ! si on saisissait bien, si on avait une foi pieuse, si on écoutait avec dévotion ce qui nous est recommandé, on verrait que Dieu n’exige pas que nous perdions nos biens, mais que plutôt il nous montre où les mettre en sûreté. Personne ne saurait se dispenser de songer à son trésor, de courir après ses richesses par un chemin connu du cœur. Si donc elles sont enfouies dans la terre, le mur y descend, et si elles sont serrées au ciel, le cœur y montera. Tous les Chrétiens ne comprennent pas ce qu’ils répondent, et plaise à Dieu que ceux qui le comprennent, ne le comprennent pas en vain ! Si donc ils veulent faire ce qu’ils assurent, et avoir le cœur élevé au ciel, qu’ils y placent, qu’ils y placent ce qu’ils aiment ; que, le corps sur la terre, ils habitent avec le Christ ; et de même que l’Église est précédée de son Chef, que le Chrétien soit devancé par son cœur. Comme les membres doivent aller où le Christ est monté le premier, ainsi en ressuscitant à son tour l’homme montera où maintenant son cœur le devance. Ainsi donc sortons d’ici autant que nous le pouvons ; et le tout en nous suivra la partie. Notre demeure terrestre tombe en ruines ; nous avons au ciel une demeure éternelle. Visitons d’avance le lieu que nous nous proposons d’habiter.
2. Nous avons entendu un riche demander au bon Maître un conseil pour arriver à l’éternelle vie. Ce qu’il aimait était digne de son amour, et ce qu’il refusait de mépriser était méprisable. Aussi n’écoutant qu’avec des dispositions perverses Celui que déjà il avait appelé le bon Maître, la bassesse de ses affections l’emporta et il perdit le trésor de la charité. S’il ne voulait point de la vie éternelle, il n’aurait pas cherché les moyens de l’obtenir. Comment donc, mes frères, a-t-il pu repousser l’enseignement salutaire de Celui que déjà il avait salué du titre de bon Maître ? Il est bon Maître avant d’enseigner, et mauvais après ! Le Sauveur en effet avait été appelé bon avant d’avoir parlé : mais le jeune homme ayant entendu, non ce qu’il voulait, mais ce qu’il devait entendre, s’éloigna avec tristesse après être venu le cœur rempli de désirs. Qu’eût-il donc fait si on lui avait dit : Consens à perdre tout ce que tu as, puisqu’il fut si chagrin quand on lui conseilla de le conserver avec soin ? « Va, lui dit en effet le Seigneur, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux pauvres. »
Peut-être crains-tu de le perdre ? Écoute ce qui suit : « Et tu auras un trésor dans le ciel. » Tu pouvais avoir la pensée de confier la garde de tes richesses à un petit esclave Dieu lui-même veillera sur ton or. Celui qui te l’a donné sur la terre le conserve au ciel. Ce riche aurait-il hésité de confier ses biens au Christ ? Si donc il s’attriste quand on lui dit : « Donne-les aux pauvres », c’est qu’il se disait en lui-même : Si le Seigneur me les demandait pour les conserver dans le ciel, je ne balancerais pas de les remettre à ce bon Maître ; mais il vient de me dire : « Donne-les aux pauvres ! »
3. Que nul ne craigne de donner aux pauvres ; que nul ne s’imagine que la main qu’il voit est celle qui reçoit. Celui qui reçoit est celui qui t’a commandé de donner. Nous l’affirmons, non point d’après nos inspirations personnelles ni d’après d’humaines conjectures. Prête l’oreille au Sauveur lui-même ; voici ses conseils et les garanties qu’il te donne par écrit. « J’ai eu faim, dit-il, et vous m’avez donné à manger ; » et comme on lui répondait, après avoir entendu

  1. Mat. 19, 21