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ce que vous délierez sur la terre sera dans le ciel également délié. » En commençant à regarder ton frère comme un publicain, tu le lies sur la terre : mais prends garde de ne pas le lier injustement, car les liens injustes sont rompus par la justice. Au contraire, lorsque tu le reprends et que tu fais la paix avec lui, c’est ton frère que tu délies sur la terre ; et lorsque tu l’auras délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Quel service tu rends alors, non pas à toi mais à lui, car c’est à lui qu’il a fait du mal et non à toi.
8. Puisqu’il en est ainsi, que veut dire Salomon par ces paroles d’une première leçon que nous avons entendue aujourd’hui ? L’œil flatteur est une source de chagrins ; mais reprendre en public, c’est établir la paix [1]. » Mais s’il est vrai que reprendre publiquement ce soit établir la paix, comment est-il dit : « Reprends-le entre loi et lui seul ? » N’est-il pas à craindre que ces divins préceptes ne soient opposés l’un à l’autre ? Comprenons au contraire qu’ils sont entr’eux du plus parfait accord ; n’imitons pas ces hommes vains qui s’imaginent faussement qu’il y a opposition entre les livres des deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau ; et ne nous figurons pas que ces deux pensées soient contraires parce que l’une est tirée d’un livre de Salomon, et l’autre de l’Évangile. Supposons en effet qu’un accusateur ignorant des divines Écritures vienne à dire : Voici une contradiction manifeste entre les deux Testaments. « Reprends-le entre toi et lui seul », dit le Seigneur. Salomon au contraire : « Reprendre en public, c’est établir la paix. » Ne s’ensuit-il Vas que le Seigneur ignorait la pensée de Salomon ? Celui-ci veut briser le front superbe du pécheur ; le Christ veut au contraire qu’on lui épargne la honte. L’un dit : « Reprendre en public, c’est établir la paix ; et l’autre : Reprends-le entre toi et lui seulement ; » non pas en public, mais en particulier et en secret. – Eh bien ! toi qui fais ces réflexions, veux-tu savoir que ces deux sentences, l’une de Salomon et l’autre de l’Évangile, ne prouvent point l’opposition des deux Testaments ? Écoute l’Apôtre, il est sûrement un ministre du Testament nouveau. Écoute-le donc, il écrit et il donne ce précepte à Timothée : « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent souvent de la crainte[2]. » Ce n’est plus ici un livre de Salomon, c’est une épître de l’Apôtre Paul qui semble en contradiction avec l’Évangile. Pour le moment, et sans mépris, mettons de côté Salomon ; puis prêtons l’oreille au Christ Notre-Seigneur et à son serviteur Paul. Que dites-vous donc, Seigneur ? « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le entre toi et lui seulement. » Et vous Apôtre ? « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que tous les autres en conçoivent de la crainte. »» Que conclure ? Entendre ce débat pour le juger ? Dieu nous en préserve. Soyons plutôt soumis an juge et frappons pour obtenir qu’il nous ouvre, réfugions-nous sous les ailes du Seigneur notre Dieu. Il n’a rien dit qui fût contraire à ce qu’a dit depuis son Apôtre, car c’est lui qui parlait par la bouche de celui-ci. « Voulez-vous, dit Paul, éprouver celui qui parle en moi, le Christ[3] ? » Le Christ parle dans l’Évangile et il parle dans son Apôtre : de lui viennent donc les deux propositions ; il a exprimé l’une par sa bouche, et l’autre par la bouche de son héraut. Lorsque parmi nous le héraut parle du haut du tribunal, on n’écrit point dans les Actes : Le héraut a dit ; on attribue les paroles à celui qui a commandé au héraut de les prononcer.
9. Essayons donc, mes frères, de bien comprendre ces deux préceptes et de nous entendre avec chacun d’eux. Soyons en paix avec notre conscience et nous ne découvrirons nulle part de contrariété dans les Saintes Écritures. Oui ces deux commandements sont également et absolument bons, mais il faut savoir la nécessité d’observer tantôt l’un et tantôt l’autre. Parfois donc il faut reprendre son frère entre soi et lui seulement ; parfois aussi il le faut reprendre devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. En agissant ainsi nous ne nous écarterons point du sens des Écritures et nous ne nous tromperons pas en les prenant pour guides. On me demande : À quels moments divers accomplir chacun de ces préceptes ? Je crains de faire la correction secrète quand elle doit être publique, et publique quand il faut qu’elle soit secrète.
10. Votre charité comprendra vite le devoir de chaque moment ; et puissions-nous ne pas différer de l’accomplir ! Appliquez-vous et saisissez. « Si ton frère pèche contre toi, dit le Sauveur, reprends-le entre toi et lui seulement. » Pourquoi le reprendre ? Parce qu’il a péché contre toi.

  1. Pro. 10, 10, Sel. LXX
  2. 1Ti. 5, 20
  3. 2Co. 13, 3