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scandales ; soyez justes et pour vous elles ne seront qu’un exercice. Voici venir une tribulation ; elle sera pour toi ce que tu voudras, une épreuve ou ta condamnation. Elle sera ce que tu seras toi-même. La tribulation est un feu. Es-tu de l’or ? Elle te purifie. De la paille ? Elle te réduit en cendre. C’est ainsi que les afflictions qui se multiplient ne sont point des scandales. Où sont les scandales ? Dans ces discours, dans ces propos qui nous répètent : Voile ce que valent les temps chrétiens ! Là est le scandale ; car on ne te parle ainsi que pour te porter à blasphémer contre le Christ, si tu aimes le monde. Celui qui t’adresse ce langage de ton ami, ton conseil ; c’est donc comme ton œil. Il est ton serviteur, ton auxiliaire dans tes entreprises ; c’est donc ta main. C’est peut-être ton protecteur, celui qui t’élève au-dessus des derniers de la terre ; il est ainsi comme ton pied. « Arrache, coupe, jette loin de toi », ne suis, pas ces conseils. Réponds à ces hommes ce que répondait cet autre à qui on conseillait un faux témoignage. Oui, réponds ainsi, et quand on te dit : C’est depuis le christianisme qu’il y a tant de maux et que le monde est dévasté, réponds : Le Christ me l’avait annoncé avant l’évènement.
8. Pourquoi te troubler ? Les calamités publiques agitent ton cœur comme était agitée la barque où dormait le Christ. Voilà bien, ô homme sensé, voilà la cause du trouble de ton cœur. Cet esquif où sommeillait le Christ est un cœur où la foi est endormie. Que t’apprend-on en effet, chrétien, que t’apprend-on de nouveau ? Sous le règne du Christianisme le monde est dévasté, le monde touche à sa fin. Ton Maître ne l’avait-il pas dit que le monde serait dévasté ? Ne t’avait-il pas dit que le monde aurait une fin ! Tu le croyais quand il le prédisait, et maintenant que se vérifient ses prédictions, tâte troubles ? Ainsi la tempête gronde dans ton cœur ; prends donc garde au naufrage, réveille le Christ. « Par la foi, dit l’Apôtre, le Christ habite dans vos cœurs.[1] » Le Christ, par la foi, habite dans ton cœur. Si donc tu as la foi, tu possèdes le Christ, cette foi est-elle vigilante ? le Christ veille aussi est-elle endormie ? c’est le Christ qui sommeille. Réveille-toi donc, ranime-toi, dis : « Nous périssons, Seigneur[2] ». Ah ! que ne nous disent pas les païens, et ce qui est plus brave, que ne nous disent pas les mauvais chrétiens ? Levez-vous, Seigneur, nous sommes perdus. Que ta foi s’éveille, et le Christ commence à t’adresser ainsi la parole. Pourquoi te troubler, dit-il ? Ne t’ai-je pas prédit tout cela ? Or je te l’ai prédit pour te porter, à avoir bon espoir quand viendraient les épreuves et à n’y succomber pas. Tu t’étonnes de voir le monde toucher à sa fin ? Étonne-toi plutôt de le voir parvenu à cet âge avancé. Le monde, est un homme qui naît, qui grandit et qui vieillit. Que de chagrins dans la vieillesse ? La toux, le dérangement des humeurs, la faiblesse de la vue, l’inquiétude, la fatigue, tout est réuni. Dans sa vieillesse l’homme est donc rempli de misères, et le monde dans sa vieillesse est aussi rempli de calamités. Mais pour toi Dieu a-t-il fait peu ; lorsque dans la vieillesse du monde il a envoyé le Christ pour te rajeunir quand tout tombe de vétusté ? Ignores-tu que ce fait a été signalé d’avance dans la race d’Abraham, dans Celui de la race d’Abraham que l’Apôtre appelle le Christ ? « L’Écriture ne dit point : « A ceux de ta race, comme s’ils étaient plusieurs ; mais, parce qu’il n’est question que d’un seul, à Celui de ta race, c’est-à-dire au Christ[3]. » De même donc qu’Abraham a eu un fils dans sa vieillesse, ainsi le Christ devait venir à l’époque de la décrépitude du monde. Il est venu effectivement au moment où tout vieillissait, et il t’a rajeuni. La création, l’univers, ce qui doit périr courait à sa ruine, et les calamités ne pouvaient que se multiplier. Le Christ est donc venu te consoler au milieu de ces douleurs et te promettre un éternel repos. Ah ! garde-toi de vouloir t’attacher à ce vieux monde et ne refuse pas de te renouveler dans le Christ. Le Christ te dit : Le monde s’en va, le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté, mais ne crains rien, ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle[4].
9. C’est, dit-on, sous le Christianisme que Rome est détruite. Peut-être ne l’est-elle point : peut-être est-elle frappée et non ruinée, châtiée et non renversée : Est-elle détruite d’ailleurs si les Romains ne le sont pas ? Or ceux-ci ne périront point s’ils louent Dieu, tandis qu’ils périront s’ils le blasphèment. Qu’est-ce en effet que Rome, sinon les Romains ? Car il ne s’agit pas ici d’amas de pierres ni de monceaux de bois, de palais qui ressemblent à des îles entières ni de remparts immenses. Tout cela était construit pour tomber en ruines quelque jour. La main de l’homme en bâtissant mettait pierre sur pierre, et

  1. Eph. 3, 17
  2. Mat. 8, 24-26
  3. Gal. 3, 16
  4. Psa. 102, 5