Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/366

Cette page n’a pas encore été corrigée

paille. Voici un arbre chargé de fruits, dit l’un ; chargé de feuilles, dit l’autre ; et tous deux disent vrai ; car ni l’abondance des feuilles n’ôte la place aux fruits, ni la multitude des fruits n’est incompatible avec la multitude des feuilles. L’arbre est à la fois chargé de feuilles et de fruits ; mais le vent emporte les unes et le jardinier recueille les autres. Ne t’effraie donc point lorsqu’on te dit : « Malheur au monde à cause des scandales[1] » Aime la loi de Dieu et pour toi il n’y aura point de scandale.
4. Cependant voici ta femme qui accourt pour t’entraîner dans je ne sais quelle faute. Tu l’aimes comme tu dois aimer ta femme, c’est un membre de ton corps. Mais « si ton œil te scandalise, si ta main, si ton pied te scandalisent, te disait tout à l’heure l’Évangile, coupe et les jette loin de toi. » Si cher qu’on te soit, si grand qu’on te paraisse, on ne doit être grand, ni être à tes yeux un membre chéri, qu’autant qu’on n’est pas une cause de scandale, qu’on ne te conseille point le mal. Sachez que c’est bien en ceci que consiste le scandale. Nous avons cité Job et sa femme, mais dans cet exemple ne se trouve point le mot même de scandale. Prête l’oreille à l’Évangile. Comme le Seigneur annonçait sa passion, Pierre se mit à l’en détourner. « Arrière, Satan, répondit le Sauveur, tu es pour moi un scandale. » Celui donc qui a voulu nous servir de modèle nous apprend ainsi et la nature du scandale et la manière de l’éviter. En disant : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jonas » il venait de représenter Pierre comme l’un de ses membres. Mais il retranche ce membre, dès qu’il veut être pour lui un scandale. Ensuite pourtant il le guérit et le remet à sa place. Tu regarderas donc comme étant un scandale pour toi quiconque entreprendra de te porter au mal. Et je prie votre charité de remarquer que ces conseils funestes viennent plus souvent d’une bienveillance aveugle que de la malveillance. Un de tes amis, un ami qui t’aime aussi sincèrement que tu l’aimes à ton tour, ton père, ton frère, ton fils, ton épouse, te voient dans le mal et ils veulent te rendre méchant. Qu’est-ce à dire, ils te voient dans le mal ? Ils te voient dans quelque affliction, dans une affliction que tu souffres peut-être pour la cause de la justice : ainsi tues persécuté parce que tu refuses de faire un faux témoignage. C’est un exemple que je suppose. Et le monde est plein de faits qui vérifient cette sentence : « Malheur au monde à cause des scandales ! » Ainsi donc un homme puissant, pour cacher ses déprédations et ses rapines demande que tu lui rendes le service de faire un faux témoignage. Tu refuses ; tu refuses le faux pour ne pas manquer au vrai. Abrégeons ; cet homme puissant s’irrite et t’opprime. Vient ton ami ; il ne peut te voir dans l’affliction, il ne peut te voir dans le mal. Je t’en prie, dit-il, fais ce qu’on te demande ; est-ce difficile ? Peut-être même va-t-il imiter Satan, disant au Seigneur : « Il est écrit : Il vous a confié à ses Anges, pour que vous ne heurtiez point votre pied contre quelque pierre [2]. » Oui, il est possible que cet ami, te voyant chrétien, recoure à la loi pour essayer de te porter à ce qu’il prétend que tu dois faire, Fais ce qu’il dit, s’écrie-t-il. – Mais quoi ? – Ce que veut cet homme puissant. — Mais il veut de moi un mensonge, une fausseté. – Eh ! n’as-tu point lu que tout homme est menteur ? » Cet ami est donc un scandale. Toi, que feras-tu ? C’est ton œil, c’est ton bras droit. « Arrache-le et le jette loin de toi. » Qu’est-ce à dire ? Ne consens pas. Ne consens pas, c’est ce que signifie : « Arrache-le et le jette loin de toi. » C’est parleur accord en effet que nos membres font l’unité dans notre corps, ils vivent par leur accord et par leur accord ils communiquent les uns aux autres. Y a-t-il malaise ? C’est qu’il y a maladie ou blessure. Ainsi donc cet ami est comme un membre de ton corps ; aime-le. Mais s’il te scandalise, « Coupe-le et le jette loin de toi. » Ne consens pas à ce qu’il dit, éloigne-le, ferme-lui ton oreille peut-être que cette réprimande te le ramènera ; avec des sentiments meilleurs.
5. Néanmoins comment feras-tu pour couper, rejeter et corriger peut-être, ainsi que je viens de le dire ? Comment t’y prendras-tu ? réponds : C’est par la loi qu’il a voulu te persuader le mensonge. Dis ce qu’on te demande, s’écriait-il, Peut-être n’osait-il proférer le mot de mensonges ; aussi répétait-il : Dis ce qu’on te demande. Mais c’est un mensonge, répliquais-tu. Et lui, pour te disculper d’avance : « Tout homme est menteur[3]. » Donc, mon frère, réponds de ton côté : « La bouche qui ment, tue l’âme. » Remarque bien, cet arrêt n’est pas de mince importance : « La bouche qui ment tue l’âme[4]. » Que peut contre moi cet ennemi puissant qui m’accable ? Pourquoi prendre pitié de moi et de la situation qui m’est

  1. Mat. 16, 28, 17
  2. Mat. 4, 6
  3. Psa. 115, 11
  4. Sag. 1, 11