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chancela après avoir mis en lui sa confiance. Cependant il ne fut ni délaissé ni englouti, mais relevé et sauvé. D’où venait en effet sa confiance ? Non pas de ses propres forces, mais de la puissance du Seigneur. Comment ? « Si c’est vous, « Seigneur ordonnez-moi d’aller à vous sur les eaux. » Le Seigneur alors marchait sur les eaux. « Si c’est vous, ordonnez-moi d’aller à vous sur les eaux. » Car si c’est vous, je sais qu’ordonner c’est faire. « Viens », reprit le Seigneur. À cette parole Pierre descendit, mais son infirmité le fit trembler. « Seigneur, s’écria-t-il aussitôt, « sauvez-moi. » Le Seigneur le prit par la main. « Homme de peu de foi, lui dit-il, pourquoi t’es-tu défié ? » Ainsi c’est le Seigneur qui l’appela à lui, et le Seigneur encore qui le raffermit au moment où il chancelait et tremblait [1], et de cette manière s’accomplit cette parole d’un psaume « Quand je disais : mon pied chancelle, votre miséricorde, Seigneur, me soutenait[2]. »
7. Il y a donc deux sortes de bienfaits, les bienfaits temporels et les bienfaits éternels. Les bienfaits temporels sont la santé, la richesse, l’honneur, les amis, la maison, les enfants, l’épouse et tous les autres avantages de cette vie où nous sommes voyageurs. Considérons-nous donc ici comme dans une hôtellerie où nous ne faisons que passer, sans en être les vrais possesseurs. Quant aux biens éternels, ce sont d’abord l’éternelle vie elle-même, l’incorruptibilité et l’immortalité du corps et de l’âme, la société des anges, une habitation céleste, une couronne inaccessible, un Père et une patrie qui ne connaissent ni mort ni ennemi. Voilà les biens qu’il nous faut désirer de tout notre cœur, demander avec une infatigable persévérance et moins par de longs discours que par de sincères gémissements. La langue fût-elle immobile, le désir est toujours une prière, désirer toujours c’est toujours prier. Quand la prière s’assoupit-elle ? C’est quand s’est refroidi le désir. Ainsi donc sollicitons de toute notre ardeur ces biens éternels, cherchons-les avec toute l’application possible, demandons-les sans crainte. Ils ne sauraient nuire et ils ne peuvent qu’être utiles à qui les possède ; au lieu que les biens temporels peuvent être nuisibles aussi bien qu’avantageux. Combien n’ont pas profité de la pauvreté, et souffert des richesses ; profité dans la vie privée et souffert dans les grands emplois ? D’autres au contraire ont tiré avantage de l’opulence et des honneurs. Ils en ont profité quand ils en faisaient bon usage, et en en faisant mauvais usage, ils ont plutôt trouvé leur perte à les posséder. D’où il suit, mes frères, que nous devons demander ces choses temporelles avec modération et avoir confiance, si nous les obtenons, qu’elles nous viennent de Celui qui sait ce qui nous convient.
Tu as demandé, dis-tu, sans obtenir. Aie confiance à ton Père, crois qu’il t’accorderait ce que tu demandes si c’était pour ton bonheur. Juges-en par toi-même. Tu es devant Dieu pour l’inexpérience des choses divines, comme ton enfant est près de toi pour l’inexpérience des choses humaines. Cet enfant te tourmente et pleure pendant un jour entier, pour obtenir un couteau ou une épée. Tu refuses de le lui donner, et tu méprises ses pleurs pour n’avoir pas à pleurer sa mort. Il gémit maintenant, il s’afflige et se frappe en demandant que tu le places sur ton cheval ; tu n’en fais rien, car il est incapable de le conduire, le cheval le renverserait et le tuerait. Si tu lui refuses si peu, c’est pour lui conserver le tout ; et pour qu’il grandisse et possède sans danger toute ta fortune, tu rejettes maintenant ses insignifiantes mais dangereuses demandes !
8. Nous vous le disons donc, mes frères, priez autant que vous le pouvez. Les maux se multiplient et Dieu l’a voulu ainsi. Ah ! ils ne se multiplieraient pas autant, si les méchants n’étaient pas si nombreux ! Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles, répète-t-on partout. Vivons bien et les temps seront bons. C’est nous qui faisons le temps ; il est tel que nous sommes. Mais que faisons-nous ? Nous ne pouvons amener au bien la masse des hommes. Soyez bons, vous qui m’entendez en si petit nombre ; que le petit nombre des bons supporte le grand nombre des méchants. Ces bons sont le grain, le grain sur l’aire, ils peuvent sur l’aire être mêlés à la paille ce mélange n’aura point lieu sur le grenier. Qu’ils tolèrent ce qui leur déplaît, afin d’arriver à ce qu’ils cherchent.
Pourquoi nous désoler et accuser Dieu ? Les maux se multiplient dans le monde, pour nous préserver de l’amour du monde. Les grands hommes, les saints et les vrais fidèles ont méprisé le monde dans son éclat ; et nous ne saurions le dédaigner dans ses tristesses ! Le monde est mauvais, oui il l’est ; et on l’aime comme s’il était bon ! Or, qu’est-ce que ce monde mauvais ?

  1. Mat. 14, 25-31
  2. Psa. 93, 18