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maladie était plus dangereuse lui insultaient et accusaient les malades. Et jusqu’où alla leur fureur ? Jusqu’à arrêter le médecin, le garroter, le flageller, le couronner d’épines, l’attacher au gibet et le faire mourir sur une croix. Pourquoi s’en étonner ? Le malade tue le médecin : mais le médecin par sa mort guérit le malade.
5. Sur la croix en effet il n’oublia point son rôle, mais il nous montra sa patience et nous apprit pas son exemple à aimer nos ennemis. Car voyant frémir autour de lui ces infortunés dont il connaissait la maladie, puisqu’il était leur médecin et dont il savait que la fureur avait aveuglé l’esprit, il commença par dire à son Père : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[1]. » Penserez-vous que ces Juifs n’étaient ni méchants, ni cruels, ni sanguinaires, ni emportés, ni ennemis du Fils de Dieu ? Penserez-vous que fut vaine et sans effet cette supplication : « Mon Père, pardonnez-leur « car ils ne savent ce qu’ils font ? » Il les voyait tous et en connaissait parmi eux qui devaient s’attacher à lui. Il mourut, il est vrai, mais c’est que sa mort devait servir à tuer la mort. Dieu est donc mort, afin que par une compensation toute céleste l’homme ne mourût pas. Le Christ, en effet, est Dieu ; mais il n’est pas mort comme Dieu. Il est à la fois Dieu et homme, le même Christ est en même temps homme et Dieu : Il est devenu homme pour nous rendre meilleurs, mais sans faire rien perdre à Dieu. Il a pris ce qu’il n’était pas, sans rien laisser de ce qu’il était. Étant donc ainsi Dieu et homme, il est mort dans notre nature, pour nous faire vivre de la sienne. Il n’avait pas dans sa nature le pouvoir de mourir, ni nous dans la nôtre la faculté de vivre. Et qu’était-il, s’il ne pouvait mourir ? « Au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Qu’on cherche comment Dieu pourrait mourir ; on ne le découvrira point. Mais nous, nous mourons parce que nous sommes chair, parce que nous sommes des hommes portant une chair de péché. Or comment pourrait vivre le péché ? Impossible. Le Christ donc ne pouvait trouver la mort dans sa nature, ni nous la vie dans la nôtre ; mais comme nous avons puisé la vie dans la sienne, il a, dans la nôtre, puisé la mort. Ah ! quel échange ! Qu’a-t-il donné et qu’a-t-il reçu? Les négociants font des échanges, et dès l’antiquité le commerce n’était qu’un échange de biens.L'un donnait ce qu’il avait et recevait ce qu’il n’avait pas. Ainsi l’un avait du Moment et n’avait pas d’orge ; un autre avait de l’orge et point de froment. Le premier donnait du froment qu’il possédait et recevait de l’orge qu’il ne possédait pas. Et combien ne fallait-il pas de ce qui était moins précieux pour équivaloir à ce qui l’était davantage ? Ainsi l’un donne de, l’orge pour avoir du froment ; un autre, du plomb en échange de l’argent ; mais pour peu d’argent combien de plomb ! Un autre enfin donne la laine pour le vêtement. Qui pourrait tout dire ? Personne néanmoins ne donne sa vie pour recevoir la mort. La prière du Médecin suspendu à la croix n’a donc pas été sans effet. Comme le Verbe ne pouvait mourir pour nous, afin d’y parvenir il « s’est fait chair et a habité parmi nous[2]. » Il a été suspendu à la croix, mais dans son humanité, Là se trouvaient l’humble nature, méprisée des Juifs, et la charité, libératrice d’autres Juifs. Car pour eux il disait. « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] ; » et ce cri ne fut pas vain. Le Sauveur effectivement mourut, il fût enseveli, ressuscita, monta au ciel après avoir passé quarante jours avec ces disciples et envoya le Saint-Esprit, qu’il avait promis, à ceux qui l’attendaient. Or après l’avoir reçu, les disciples en furent remplis, et commencèrent à parler les langues de tous les peuples. En entendant parler, au nom du Christ, toutes les langues, à des ignorants, à des hommes sans instruction qu’ils savaient avoir été élevés au milieu d’eux dans la connaissance d’une seule langue, les Juifs qui étaient là furent étonnés et frappés de frayeur. Pierre leur apprit d’où venait cette grâce. On en était redevable à Celui qu’on avait attaché au gibet. On en était redevable à Celui qui voulut être outragé sur la croix, afin d’envoyer l’Esprit-Saint du haut du ciel. Pierre fut entendu avec foi de ceux pour qui il avait été dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Ils crurent donc, furent baptisés et se convertirent. Mais quelle conversion ! Ils buvaient avec foi le sang qu’ils avaient répandu avec fureur.
6. Afin donc de finir ce discours par où nous l’avons commencé, prions et confions-nous en Dieu ; vivons suivant ses préceptes, et si nous chancelons en chemin, invoquons-le comme l’invoquaient ses disciples quand ils dirent : « Seigneur, augmentez en nous la foi[4]. » Pierre aussi

  1. Luc. 33, 34
  2. Jn. 1, 1, 14
  3. Luc. 23, 34
  4. Id. 17, 6