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 Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, je bâtirai mon Église[1] ; » en d’autres termes : je bâtirai mon Église sur moi-même, qui suis le Fils du Dieu vivant ; je te bâtirai sur moi et non pas moi sur toi[2].
2. Il y eut des hommes qui voulaient s’appuyer sur des hommes et ils disaient : « Moi je suis à Paul, et moi à Apollo, et moi à Céphas », c’est-à-dire à Pierre. D’autres ne voulaient point s’établit sur Pierre, mais sur la Pierre, et ils ajoutaient : « Et moi je suis au Christ. » Or quand l’Apôtre Paul sut qu’on s’attachait à lui au détriment du Christ : « Est-ce que le Christ est divisé ? s’écria-t-il ; est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Ou est-ce au nom de Paul que vous « avez été baptisés[3] ? » Si ce n’est pas au nom de Paul, ce n’est pas non plus au nom de Pierre, mais c’est au nom du Christ ; et de cette sorte Pierre s’appuie sur la Pierre et non la Pierre sur Pierre.
3. Or ce même Pierre que la Pierre venait de déclarer bienheureux, ce même Pierre qui représente l’Église et qui est le Chef de l’Apostolat, presqu’aussitôt après avoir appris qu’il était bienheureux, qu’il était Pierre et qu’il serait établi sur la Pierre, entendit le Sauveur prédire sa passion et l’annoncer comme devant arriver prochainement. Ce discours lui déplut et il craignit de se voir rani par la mort Celui qu’il venait de confesser comme étant la source de la vie. Il s’émut donc et cria : « À Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne sera point. » Épargnez-nous, ô Dieu, je ne veux pas que vous mouriez. Pierre disait au Christ : Je ne veux pas que vous, mouriez ; mais le Christ disait beaucoup mieux : Je veux mourir pour toi ; et après l’avoir loué il le reprit aussitôt et traita de Satan celui qu’il venait de proclamer bienheureux. « Retire-toi de moi, Satan ; tu es pour moi un scandale, car tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes[4]. » Que veut faire de nous Celui qui nous reproche ainsi d’être des hommes ? Voulez-vous le savoir ? Écoutez ce Psaume ; « j’ai dit : Vous êtes tous des dieux et les fils du Très-Haut ; » mais en goûtant les choses humaines « vous mourrez comme des hommes[5]. » C’est pourquoi en si peu de temps, après quelques mots, le même Apôtre qui a été proclamé bienheureux est traité de Satan. Tu t’étonnes de la différence de ces appellations ? Considère combien sont différents les motifs. Pourquoi être surpris d’entendre sitôt appeler Satan, celui qui vient d’être nommé bienheureux ? Voici pourquoi il est déclaré bienheureux. « Car ni la chair ni le sang ne te l’ont révélé ; mais mon Père qui est dans les cieux. » Ainsi, il est bienheureux parce que ce n’est ni la chair ni le sang qui le lui ont révélé. Si c’était la chair et le sang qui te l’eussent révélé, la révélation viendrait de toi ; et comme « ce n’est ni la chair ni le sang, mais mon Père qui est dans les cieux », elle vient de moi. Pourquoi de moi ? Parce que « tout ce que possède mon Père est à moi [6]. » Voilà donc le motif pour lequel l’Apôtre est bienheureux et pour lequel il est Pierre. Pourquoi maintenant cette autre appellation qui nous fait horreur et que nous ne voulons point répéter ? Pourquoi, sinon parce que tu as parlé de toi-même, et « parce que tu goûtes, non pas les choses qui sont de Dieu ; mais les choses qui sont des hommes ? »
4. Membres de l’Église, considérons cette vérité et distinguons ce qui vient de Dieu et ce qui vient de nous. Nous ne chancellerons point alors, mais nous résisterons avec fermeté aux vents, aux orages, aux soulèvements des flots, c’est-à-dire aux tentations de ce siècle. Contemplez donc Pierre, car il nous figurait à cette époque. Tantôt il est ferme et tantôt il tremble ; tantôt il confesse l’immortalité du Sauveur et tantôt il craint qu’il ne meure. Dans l’Église aussi il y a des forts et des faibles ; elle ne peut exister sans les uns et sans les autres, ce qui fait dire à l’Apôtre Paul : « Nous devons, nous qui sommes forts, a soutenir les fardeaux des faibles[7]. » Pierre représente donc les forts quand il dit au Seigneur « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ; » et quand il tremble, quand il chancelle, quand il s’oppose aux souffrances du Christ, quand il craint qu’il fie meure sans plus reconnaître en lui le principe de la vie, il figure les faibles dans l’Église. Ainsi ce même Apôtre en qui se personnifiait l’Église et qui occupait la première et la plus grande place dans le collège apostolique, devait représenter deux sortes de chrétiens, les forts et les faibles, parce que l’Église n’est jamais sans les uns et sans les autres.
5. C’est ce qui explique aussi ce qu’an vient de lire : « Si c’est vous, Seigneur, ordonnez-moi d’aller à vous sur les eaux. — Si c’est vous ordonnez-moi ; » car je ne le puis par moi, mais

  1. Mat. 16, 13-18
  2. Le lecteur doit savoir qu’en regard de cette interprétation, qui n’a aucun fondement dans la langue syriaque parlée par Notre-Seigneur, saint Augustin en donne aussi une autre bien plus naturelle et plus généralement admise. V. Rét. 1, ch. 21
  3. 1Co. 1, 12, 13
  4. Mat. 16, 22-23
  5. Psa. 81, 6,7
  6. Jn. 16, 15
  7. Rom. 15, 1