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et lui qui en souffrant dans son corps s’était jeté dans la profondeur de la mer et y avait été englouti, foulait les orgueilleux ou les flots écumants, aux pieds de sa gloire. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore nous le voyons marcher en quelque sorte sur la mer, puisque toute la rage du ciel expire à ses pieds.
8. Aux dangers des tempêtes se joignent encore les erreurs des hérétiques. Il est des hommes qui pour attaquer les passagers du vaisseau mystique publient que le Christ n’est point né de la Vierge, qu’il n’avait pas un corps véritable et qu’il paraissait ce qu’il n’était point. Ces opinions perverses viennent de naître, maintenant que le Christ marche en quelque sorte sur la mer, puisque son nom est glorifié parmi tous les peuples. « C’est un fantôme », disaient les disciples épouvantés. Mais lui, pour nous rassurer contre ces doctrines contagieuses : « Ayez confiance, dit-il, « c’est moi, ne craignez point. » Ce qui a contribué à former ces opinions trompeuses, c’est la vaine crainte dont on s’est trouvé saisi à la vue de la gloire et de la majesté du Christ. Comment aurait pu avoir une telle naissance Celui qui a mérité tant de grandeur ? On croyait le voir encore avec saisissement marcher sur la mer, car cette action prodigieuse est la marque de sa prodigieuse élévation, et c’est elle qui a donné lieu de croire qu’il était un fantôme. Mais en répondant : « C’est moi », le Sauveur ne veut-il pas qu’on ne voie point en lui ce qui n’y est point ? Si donc il montra en lui de la chair, c’est qu’il y en avait ; des os, c’est qu’il y avait des os ; des cicatrices enfin, c’est qu’il en avait aussi. « Il n’y avait pas en lui, comme s’exprime l’Apôtre, le oui et le non ; mais le oui était en lui [1]. » De là cette parole : « Ayez « confiance, c’est moi ; ne craignez point. » En d’autres termes : N’admirez pas ma grandeur jusqu’à vouloir me dépouiller de ma réalité. Il est bien vrai, je marche sur la mer, je tiens sous mes pieds, comme des flots écumants, l’orgueil et le faste du siècle ; je me suis montré néanmoins véritablement homme, et mon Évangile dit vrai quand il publie que je suis né d’une Vierge, que je suis le Verbe fait chair, que j’ai dit avec vérité : « mouchez et voyez, car un esprit n’a point d’os comme vous en voyez en moi[2] ; » enfin que mon Apôtre dans son doute constata de sa propre main la réalité de mes cicatrices. Ainsi donc : « C’est moi ; ne craignez point. »
9. En s’imaginant que le Seigneur était un fantôme, les disciples ne rappellent pas seulement les sectaires qui lui refusent une chair humaine et qui vont quelquefois dans leur aveuglement pervers jusqu’à ébranler les voyageurs présents dans le navire ; ils désignent – aussi ceux qui se figurent que le Sauveur n’a pas dit vrai en tout et qui ne croient pas à l’accomplissement des menaces faites contre les impies. Il serait donc en partie véridique et en partie menteur, espèce de fantôme dans ses discours où se trouveraient le oui et le non. Mais qui comprend bien cette parole : « C’est moi ; ne craignez point », ajoute foi à tout ce qu’a dit le Seigneur, et s’il espère les récompenses qu’il a promises, il redoute également les supplices dont il a menacé : C’est la vérité qu’il fera entendre aux élus placés à sa droite, quand il leur dira : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ; » c’est aussi la vérité qu’entendront les réprouvés placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges [3]. »
Aussi bien le sentiment de la fausseté des menaces adressées par le Christ aux impies et aux réprouvés, vient de ce que l’on voit soumis à son nom des peuples nombreux et d’innombrables multitudes : et si le Christ semblait être un fantôme parce qu’il marchait sur la mer, aujourd’hui encore on ne croit pas à la réalité des peines dont il menace, on ne le croit pas capable de perdre des peuples si nombreux qui l’honorent et se prosternent devant lui. Qu’on l’entende dire, néanmoins : « C’est moi. » Rassurez-vous donc, vous qui le croyez véridique en tout et qui fuyez les supplices dont il menace, comme vous aspirez aux récompenses qu’il promet. Car s’il marche sur la mer, si toutes les parties de l’humanité lui sont soumises dans ce siècle, il n’est pas un fantôme et il ne ment pas quand il s’écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux[4]. »
10. Que signifie encore la hardiesse de Pierre à venir à lui en marchant sur les eaux ? Pierre représente souvent l’Église ; et ces mots : « Si c’est vous, Seigneur, ordonnez-moi de venir à vous sur les eaux », ne reviennent-ils pas à ceux-ci : Seigneur, si vous dites vrai, si vous ne mentez jamais, glorifiez votre Église dans le

  1. 2Co. 1, 19
  2. Luc. 24, 39
  3. Mat. 25, 34, 41
  4. Mat. 8, 21