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vaisseau, de ne pas nous renverser ni de nous jeter à la mer. Le vaisseau peut s’agiter ; mais c’est un vaisseau, un vaisseau qui seul porté les disciples et reçoit le Christ. Il est exposé sur les vagues ; sans lui néanmoins la mort serait prompte. Reste donc dans ce vaisseau et prie Dieu. Lorsqu’on ne sait plus que faire, lorsque le gouvernail ne peut plus diriger et que le déploiement des voiles 'contribue à accroître le danger plutôt que de pourvoir au salut, on laisse de côté tous les moyens et toutes les forces humaines, et les nautonniers n’ont plus d’autre soin que de prier Dieu et d’élever la voix jusqu’à lui. Or Celui qui donne aux navigateurs ordinaires d’arriver au port, laissera-t-il son Église sans la mettre en repos ?
5. Cependant, mes frères, les grandes secousses qu’éprouve ce navire ne se font sentir qu’en l’absence du Seigneur. — Quoi ! le Seigneur peut-il être absent pour qui est dans l’Église ? Quand arrive cette absence ? – Quand on est vaincu par quelque passion. Il est dit quelque part, et on peut l’entendre d’une façon mystérieuse : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère, et ne donnez point lieu au diable [1]. » Ceci s’entend non pas de ce soleil qui paraît si grand parmi les corps célestes et qui peut-être regardé par les animaux comme par nous ; mais de cette lumière que peuvent contempler les cœurs purs des fidèles seulement, ainsi qu’il est écrit : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde[2] ; » au lieu que la lumière de ce visible soleil éclaire aussi les plus petits et les derniers des insectes. La lumière véritable est donc celle de la justice et de la sagesse ; l’esprit cesse de la voir lorsque le trouble de la colère l’offusque comme d’un nuage et c’est alors que le soleil se couche sur la colère. C’est ainsi qu’en l’absence du Christ, chacun sur ce navire est battu par la tempête, par les péchés et les passions auxquelles il s’abandonne. La loi dit par exemple : « Tu ne feras point de faux témoignage[3]. » Si tu es attentif à la vérité qui réclame ta déposition, la lumière brille dans ton esprit ; mais si entraîné par la passion d’un gain honteux, tu te détermines intérieurement à rendre un faux témoignage, tu vas être, en l’absence du Christ, battu par la tempête, emporté par les vagues de ton avarice, exposé aux tourments de tes passions, et, toujours en l’absence du Christ, sur le point d’être submergé.
6. Qu’il est à craindre que ce vaisseau ne se retourne et ne regarde en arrière ! C’est ce qui arrive lorsque,-renonçant à l’espoir des célestes récompenses, on se laisse aller à la remorque de ses passions pour s’attacher aux choses qui se voient et qui passent. Il ne faut pas désespérer si fort de celui que troublent les tentations et qui néanmoins tient le regard attaché sur les choses invisibles, demandant pardon de ses péchés et s’appliquant à dompter et à traverser les flots courroucés de la mer. Mais celui qui s’oublie jusqu’a dire dans son cœur : Dieu ne me voit pas ; il ne pense pas à moi et ne se soucie point si je pèche, celui-là tourne la proue de son vaisseau, se laisse aller à l’orage et emporter d’où il venait. Combien effectivement sont nombreuses les pensées qui s’élèvent dans le cœur de l’homme ! Aussi quand le Christ n’y est plus, les flots du siècle et des tempêtes sans cesse renaissantes se disputent son navire.
7. La quatrième veille est la fin de la nuit, car chaque veille est de trois heures. Cette circonstance signifie donc que vers la fin des temps le Seigneur vient secourir son Église et semble marcher sur les eaux. Car, bien que ce vaisseau soit en butte aux attaques et aux tempêtes, il n’en voit pas moins le Sauveur glorifié marcher sur toutes les élévations de la mer, c’est-à-dire sur toutes les puissances du siècle. À l’époque où il nous servait dans sa chair de modèle d’humilité, et, où il souffrait pour nous, il était dit de lui que les flots s’élevèrent contre sa personne et que pour l’amour de nous il céda volontairement devant cette tourmente afin d’accomplir cette prophétie : « Je me suis jeté dans la profondeur de la mer, et la tempête m’a submergé [4]. » En effet il n’a point repoussé les faux témoins ni confondu les cris barbares qui demandaient qu’il fût crucifié[5]. Il n’a point employé sa puissance à comprimer la rage de ces cœurs et de ces bouchés en fureur, mais sa patience à l’endurer. On lui a fait tout ce qu’on a voulu, parce qu’il s’est fait lui-même obéissant jusqu’à la mort de la croix[6]. Mais lorsqu’après sa résurrection d’entre les morts il voulut prier seul pour ses disciples, placés dans l’Église comme dans un vaisseau, appuyés sur le bois, c’est-à-dire sur la foi de sa croix et menacés par les vagues des tentations de ce siècle ; son nom commença à être honoré dans ce monde même, où il avait été méprisé, accusé, mis à mort ;

  1. Eph. 4, 26-27
  2. Jn. 1, 9
  3. Exo. 20, 16
  4. Psa. 68, 3
  5. Mat. 27, 23
  6. Phi. 2, 8