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SERMON LXXIV. QUEL EST LE VRAI DOCTEUR DE LA LOI[1].

ANALYSE. – Ce discours n’est que l’explication de ces paroles de saint Matthieu : « Tout scribe instruit de ce qui touche le royaume des cieux, est semblable au père de famille qui tare de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. Qu’entend-on ici par Scribe ? On entend les docteurs de la loi divine. – Pourquoi dit-on qu’il tire de son trésor ? C’est qu’il est des docteurs qui ne font pas ce qu’ils enseignent : ceux-là ne tirent pas de leur trésor ou de leur cœur, mais uniquement du trésor de la révélation. – Quelles sont enfin ces choses nouvelles, et ces choses anciennes ? Les doctrines révélées dans l’ancienne loi et mises en lumière dans l’Évangile.


1. La lecture de l’Évangile nous invite à examiner et à expliquer à votre charité, autant que le Seigneur nous en fera la grâce, quel est « le Scribe instruit de ce qui louche le royaume de Dieu et semblable au père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes ; » quelles sont encore ces choses nouvelles et ces choses anciennes que produit au grand jour ce scribe instruit ; car c’est par là que s’est terminée la lecture de l’Évangile. On sait d’abord quels sont ceux que, conformément au style de l’Écriture, les anciens appelaient Scribes ; ce sont ceux qui faisaient profession de connaître la Loi. Tel est le sens que le peuple juif donnait à ce terme. Les scribes ne signifiaient donc point alors, comme aujourd’hui parmi nous, ceux qui écrivent au palais sous l’autorité des juges ou dans les villes pour le public. Gardons-nous de fréquenter inutilement une école, et sachons le sens que l’Écriture attache aux expressions qu’elle emploie ; car autrement en entendant des paroles de l’Écriture prises dans une acception différente de l’acception ordinaire, nous pourrions nous égarer et, pour nous laisser aller à nos pensées habituelles, ne comprendre pas ce qui nous est enseigné. Les 'Scribes donc étaient des hommes qui faisaient profession de connaître la loi, et c’est à eux qu’appartenait le soin de garder les livres, de les expliquer, de les transcrire et de les étudier.
2. C’est à eux que Notre-Seigneur Jésus-Christ reproche d’avoir les clefs du royaume des cieux sans y entrer eux-mêmes et sans y laisser entrer personne ; ce reproche en effet s’adresse aux Pharisiens et aux Scribes, les docteurs de la loi parmi les Juifs. C’est d’eux encore qu’il parle ainsi ailleurs : « Faites ce qu’ils disent ; mais gardez-vous de faire ce qu’ils font ; car ils disent et ne font pas. [2] » Et pourquoi, ces mots : « Es disent et ne font pas », sinon parce qu’ils sont du nombre de ceux en qui on voit ce que dit l’Apôtre : « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ; toi qui défends l’adultère, tu commets l’adultère ; toi qui as en horreur les idoles, tu fais des sacrilèges ; toi qui te glorifies de la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ; car à cause de vous le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations ?[3] » Il est sûr et évident qu’à cette sorte de docteurs s’appliquent ces paroles du Seigneur. « Ils disent et ne font pas. » Ce sont des Scribes, mais ils ne sont pas réellement instruits en ce qui touche le royaume de Dieu. Néanmoins, dira quelqu’un d’entre vous, comment un mauvais homme peut-il enseigner une bonne doctrine, puisqu’il est écrit et que le Seigneur dit lui-même : « L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et du mauvais trésor de son cœur l’homme mauvais tire des choses mauvaises ? Hypocrites, comment pouvez-vous faire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais ?[4] » Ici donc il est dit : « Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais ? » Et là : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de « faire ce qu’ils font ; car ils disent et ne font point. » S’ils disent sans pratiquer, ils sont mauvais ; mais s’ils sont mauvais, ils ne peuvent dire de bonnes choses : comment faire alors ce qu’ils nous enseignent, puisqu’ils ne sauraient nous enseigner rien de bon ? Voici la solution de cette difficulté ; que votre sainteté s’y rende attentive. Tout ce que l’homme mauvais tire de lui-même est mauvais ; tout ce que l’homme mauvais tire de son cœur est mauvais ; car dans son cœur est son mauvais trésor. D’où vient donc que ces méchants enseignaient

  1. Mat. 13, 52
  2. Mat. 23, 3
  3. Rom. 2, 21-23
  4. Mat. 12, 35, 34.