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en moi, fait lui-même les œuvres[1] ? » Ces expressions : « Fait lui-même les œuvres », semblent indiquer que le Fils n’en est pas l’auteur, mais le Père demeurant dans le Fils. Cependant pourquoi dit-il ailleurs : « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis avec lui », et un peu plus loin : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement[2] ? » Quand ailleurs il dit encore : « Si je n’avais pas fait parmi eux des œuvres que nul autre n’a faites[3] », il s’exprime comme s’il agissait seul. Or si ce langage suppose que les œuvres du Père et du Fils sont inséparables ; que penser du Saint-Esprit, sinon qu’il agit en même temps ? Le Fils ne dit-il pas, dans le passage qui a soulevé le problème que nous discutons, et qui représente le Sauveur chassant les démons : « Si je chasse les démons dans l’Esprit-Saint, c’est une preuve que le royaume de Dieu est arrivé parmi nous ? »
26. Ici peut-être on objectera que l’Esprit-Saint est plutôt donné par le Père et le Fils qu’il n’agit de lui-même ; et qu’en disant : « Je chasse les démons dans l’Esprit-Saint », le Christ veut faire entendre qu’il les chassait par l’Esprit-Saint. « Je chasse les démons dans l’Esprit-Saint », aurait alors le même sens que : Je les chasse par l’Esprit-Saint. Une des locutions habituelles de l’Écriture est de dire en effet : « Ils ont tué dans le glaive », au lieu de par le glaive : « Ils ont embrasé dans le feu », au lieu de par le feu[4] ; « Jésus prit les couteaux de pierre dans lesquels il voulait circoncire les fils d’Israël[5] », c’est-à-dire avec lesquels il voulait circoncire les fils d’Israël. Avant néanmoins ale nier pour ce motif que le d’Israël, ait une puissance propre, on fera bien de remarquer ces paroles du Seigneur « L’Esprit souffle où il veut[6]. » Quant à ces autres de l’Apôtre : « C’est le seul et même Esprit qui produit tous ces dons », il est à craindre qu’elles ne donnent à penser que le Père et le Fils né les produisent pas également ; et néanmoins l’Apôtre a compté parmi ces dons les grâces de guérir et d’opérer des miracles, parmi lesquelles on doit comprendre sûrement l’expulsion des démons. Mais en ajoutant : « Les distribuant à chacun comme il veut[7] », Saint Paul ne montre-t-il par aussi dans l’Esprit-Saint une puissante particulière, inséparable pourtant de la puissance du Père et du Fils ? Si donc ces autorités différentes nous enseignent que les opérations de la Trinité sont des opérations inséparables ; si l’on ne peut attribuer une opération au Père sans l’attribuer également au Fils et à l’Esprit-Saint, ni une opération au Fils sans qu’elle appartienne au Père et au Saint-Esprit, ni une opération au Saint-Esprit sans la rapporter au Père et au Fils ; il est manifeste aux yeux de ceux qui ont la vraie foi ou même quelque intelligence de ces matières, qu’en disant de son Père : « Lui-même fait les œuvres », Jésus-Christ rappelle que le Père en est le principe, comme il est le principe des personnes qui agissent avec lui ; le Fils, en effet, est né du Père et le Saint-Esprit procède premièrement de ce même Père qui engendre le Fils avec qui l’Esprit-Saint lui est commun. Il est manifeste aussi que ces autres paroles du Sauveur : « Si je n’avais pas fait parmi eux des œuvres que nul autre n’a faites », ne signifient pas que le Père et le Saint-Esprit n’agissaient pas alors de concert avec lui, mais, qu’aucun des hommes qui sont représentés comme ayant fait beaucoup de miracles n’a fait ce qu’a fait le Fils de Dieu. Il est manifeste encore que ce témoignage de l’Apôtre : « C’est le seul et même Esprit qui produit tous ces dons », n’ont pas pour but de montrer que le Père et le Fils ne les produisent pas avec lui ; saint Paul veut seulement faire entendre que ces dons ne sont pas l’œuvre de plusieurs esprits, mais d’un seul, et que malgré la diversité de ses opérations il ne diffère pas de lui-même.
27. Toutefois ce n’est pas sans motif, c’est au contraire avec raison et avec vérité qu’on attribue au Père, et non au Fils ni au Saint-Esprit, d’avoir dit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances [8]. » Mais tout en reconnaissant là la voix du Père, nous ne nions pas que le Fils et l’Esprit-Saint aient contribué à former en même temps ce bruit miraculeux descendu du ciel. Car, de ce que le Fils était alors revêtu d’un corps et conversait avec les hommes sur la terre, il ne s’ensuit pas qu’au moment où cette voix divine perça la nuée, il n’était plus dans le sein où son Père l’engendre comme son Verbe unique : il ne serait ni sage ni spirituel de croire que Dieu le Père a produit, sans la coopération de sa Sagesse et de son Esprit, le bruit de ces paroles bientôt évanoui. Nous avons droit de dire aussi que ce n’est ni le Père ni le Saint-Esprit, mais le Fils qui a marché sur la mer[9] ; car c’est à lui seul qu’appartenaient

  1. Jn. 12, 10
  2. Jn. 5, 17, 19
  3. Jn. 15, 24
  4. Psa. 73, 7
  5. Jos. 5, 2-3
  6. Jn. 3, 8
  7. 2 Co. 12, 11
  8. Luc. 3, 22
  9. Mat. 14, 25