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espèce de blasphème que nous ne voyons là toute espèce de tentation.
16. Quand également nous lisons : « Qui croira et sera baptisé, sera sauvé [1] », nous ne prenons pas le verbe croire dans le sens dont il est dit « Les démons croient et ils tremblent[2] », et nous ne confondons pas ceux qui ont reçu le baptême avec Simon le magicien et ses semblables, lequel a pu être baptisé et n’a pu être sauvé[3]. De même donc qu’en disant : « Qui croira et sera baptisé, sera sauvé », le Sauveur avait en vue non pas tous les croyants et tous les baptisés, mais quelques-uns, c’est-à-dire ceux-là seulement qui possèdent cette foi spéciale dont parle l’Apôtre, laquelle « agit par la charité[4] ; » ainsi en prononçant ces paroles : « Quiconque aura blasphémé contre « l’Esprit-Saint, n’obtiendra jamais son pardon », il considérait non pas tous les blasphèmes contre le Saint-Esprit, mais un blasphème particulier qui ne sera jamais remis à quiconque s’en est rendu coupable.
17. Quel sens donner encore à cette autre sentence : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui[5] ? » Pouvons-nous y comprendre ceux mêmes dont l’Apôtre déclare qu’ils mangent et boivent leur condamnation ? Et toutefois ils mangent et boivent réellement la chair et le sang du Sauveur. Cet impie Judas, qui a vendu et trahi son Maître, a reçu avec les autres disciples le sacrement du corps et du sang divins, lorsque le Seigneur le consacra la première fois dans ses mains adorables ; l’Évangéliste saint Luc le dit assez clairement[6] : s’ensuit-il qu’il demeura dans le Christ et que le Christ demeura en lui ? Lorsque tant d’autres reçoivent hypocritement ce, corps et ce sang précieux, ou apostasient après s’en être nourris, demeurent-ils dans le Christ et le Christ demeure-t-il en eux ? Il est donc une manière de manger ce, corps et de boire ce sang, qui fait que le Christ demeure dans celui qui les prend comme celui qui les prend demeure dans le Christ ; et conséquemment il ne nous suffit pas, pour que nous demeurions dans le Christ et pour que le Christ demeure en nous, de manger sa chair et de boire son sang d’une manière quelconque ; il est une manière spéciale de le recevoir, que lui-même avait en vue lorsqu’il tenait ce langage. Quand il dit également : « Quiconque aura blasphémé contré l’Esprit-Saint, ne sera jamais absous », il ne s’ensuit pas qu’un blasphème quelconque rende coupable de ce crime irrémissible ; il faut entendre un blasphème particulier, dont l’auteur de cette sentence, aussi vraie que terrible, veut que nous recherchions et comprenions la nature.
18. Quelle est cette espèce, ou plutôt ce monstre de blasphème ? Quelle est aussi cette parole contre le Saint-Esprit ? L’ordre logique demande, je crois, que nous vous les fassions connaître, et que nous : ne différions pas plus longtemps de satisfaire votre attente, déjà si longuement, quoique nécessairement, tenue en suspens. Vous savez, mes très-chers frères, que dans cette invisible et incorruptible Trinité que croit notre foi et que célèbre l’Église catholique, Dieu le Père n’est pas le Père de l’Esprit-Saint, mais du Fils ; que Dieu le Fils n’est pas le Fils du Saint-Esprit, mais du Père ; et que Dieu le Saint-Esprit n’est pas exclusivement l’Esprit du Père ni exclusivement l’Esprit du Fils, mais l’Esprit du Père et du Fils en même temps. Vous savez aussi que malgré la distinction et la subsistance de chacune des personnes, cette Trinité ne forme pas trois dieux mais un seul Dieu, parce qu’en elle la nature ou l’essence de l’éternité, de la vérité, et de la bonté, est indivise et inséparable. Autant donc que nous pouvons comprendre ces mystères en les regardant à travers le miroir et en énigme, surtout dans l’état où nous sommes encore aujourd’hui, nous entrevoyons l’autorité dans le Père, la naissance dans le Fils, dans le Saint-Esprit l’union commune du Père et du Fils, l’égalité souveraine dans les trois personnes. Aussi ont-elles voulu nous unir entre nous et avec elles par ce qui unit le Père et le Fils, et nous attacher à l’unité par le Don qui leur est commun, c’est-à-dire par l’Esprit-Saint qui est Dieu et en même temps le Don de Dieu.C'est par lui en effet que nous nous réconcilions avec la divinité et que nous en jouissons. Que nous importerait, sans l’amour, la connaissance de quelque bien que ce fût ? Or, de même que la vérité nous éclaire, la charité nous embrase, afin de perfectionner nos connaissances et de nous rendre heureux à la vue du bien. Mais la charité a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné [7] ; et comme nos péchés nous éloignaient de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés[8]. Ainsi donc le Père est pour le Fils ou la Vérité le véritable Principe ; le Fils est la

  1. Mrc. 16, 16
  2. Jac. 2, 19
  3. Act. 8, 13
  4. Gal. 5, 6
  5. Jn. 6, 57
  6. Luc. 22, 21
  7. Rom. 5, 5
  8. 1 Pi. 4, 8