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Qu’ont-ils dit ? Nous lisons dans saint Marc : « En vérité je vous le déclare : on remettra aux enfants des hommes tous leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés ; mais celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint n’obtiendra point de pardon ; il sera coupable d’un péché éternel [1]. » Et dans saint Luc : « Quiconque profère une parole contre le Fils de l’homme en obtiendra le pardon ; mais il n’y aura point de pardon pour celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint[2]. » Quelque différence dans les mots suffit-elle pour altérer la vérité et l’identité de la pensée ? Si les Évangélistes rapportent diversement les mêmes choses, c’est uniquement pour nous apprendre à préférer la pensée à l’expression et non l’expression à la pensée, et à ne chercher dans celui qui parle que le dessein pour lequel il parle. Qu’importe en effet à la pensée même de dire : « Le blasphème contre l’Esprit ne sera point remis », ou de dire : « Celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint n’en recevra point le pardon ? » Peut-être seulement que la même pensée est exprimée ici plus clairement que là ; et qu’un Évangéliste explique l’autre, loin de le contredire. Dans cette phrase : « Le blasphème de l’Esprit », le sens n’éclate pas, car il n’est pas dit de quel esprit il est question ; le blasphème de l’Esprit pourrait aussi s’entendre du blasphème fait par l’esprit, comme on appelle prière de l’Esprit la prière faite par l’esprit même. Delà ces paroles de l’Apôtre : « Je prierai de l’esprit, je prierai aussi avec l’intelligence[3]. » Mais dans ces mots : « Quiconque aura blasphémé contre l’Esprit-Saint », ces équivoques disparaissent. Et ces expressions : « Il n’obtiendra jamais de pardon, mais il sera coupable d’un péché éternel », disent-elles autre chose que ce que noirs lisons dans saint Matthieu : « Il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir ? » C’est la même pensée sous d’autres paroles et avec une autre construction. Quand saint Matthieu dit encore : « Quiconque aura proféré une parole contre l’Esprit-Saint », les autres Évangélistes, pour nous faire comprendre plus aisément qu’il ne s’agit ici que de blasphème, écrivent en propres termes : « Quiconque aura blasphémé contre l’Esprit-Saint. » C’est néanmoins la même idée exprimée par tous ; aucun de ces écrivains ne s’écarte de la volonté de Celui qui parle, et c’est pour nous le faire saisir qu’ils emploient de vive voix ou par écrit les paroles que nous lisons et entendons.
14. Je comprends parfaitement, dira-t-on, que le mot de blasphème sans être uni à tout ou à quelque, peut s’appliquer à tout blasphème ou à quelque blasphème ; il n’est pas nécessaire de l’appliquer ici à tout blasphème, et si on ne l’applique à aucun, le texte est menteur. Ainsi en est-il du terme parole : s’il n’est joint ni à toute ni à quelque, il n’est pas nécessaire de l’entendre de toute parole et si on ne l’entend d’aucune, il est impossible que la phrase soit vraie. Mais quand on lit : « Quiconque aura blasphémé », comment voir là quelque blasphème particulier ou quelque parole particulière, puisqu’on ne lit ni le mot de blasphème ni le terme de parole, et que la proposition semble être générale : « Quiconque aura blasphémé ? » À cette objection voici notre réponse : S’il était dit dans ce passage : Quiconque aura blasphémé de quelque manière que ce soit contre l’Esprit-Saint, il n’y aurait pas lieu de chercher à déterminer quelque blasphème particulier, puisqu’il serait parlé de tout blasphème sans exception. Mais il ne peut être question de tout blasphème en général ; car ce serait ôter tout espoir de pardon s’ils se convertissent, aux païens, aux juifs, aux hérétiques et à tous les hommes qui par leurs erreurs et leurs oppositions à la vérité, blasphèment contre l’Esprit-Saint. Il faut donc dans cette proposition : « Quiconque aura blasphémé contre le Saint-Esprit, n’en obtiendra jamais le pardon », voir non pas tout blasphème, mais l’espèce spéciale de blasphème qui est à jamais irrémissible.
15. Quand l’Écriture dit : « Dieu ne tente personne[4] ; » nous : ne prenons pas l’expression tenter dans tous ses sens mais dans un sens particulier ; autrement il y aurait fausseté dans ces autres paroles : « Le Seigneur votre Dieu vous, tente[5] ; » de plus nous nierions la divinité du Christ ou nous accuserions l’Évangile d’erreur, puisqu’il y est écrit que Jésus interrogeait un disciple « pour le tenter, car il savait parfaitement ce qu’il avait à faire[6]. » De fait, il est une espèce de tentation qui pousse au péché, à celle-là Dieu est étranger ; il en est une autre destinée à éprouver la foi, Dieu daigne y recourir de temps en temps. Donc aussi quand nous lisons : « Quiconque aura blasphémé contre l’Esprit-Saint », nous ne devons pas plus y voir toute

  1. Mrc. 3, 28, 29
  2. Luc. 12, 40
  3. 1 Co. 14, 15
  4. Jac. 1, 13
  5. Deu. 13, 3
  6. Jn. 6, 5-6