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2. Voici leur condamnation dans ces paroles du livre de la Sagesse : « S’ils ont eu assez de force pour connaître l’univers, comment n’en ont-ils pas trouvé le Maître plus facilement[1] ? » Leur crime est d’avoir consumé leur temps, leurs travaux et leurs raisonnements à sonder et pour ainsi dire à mesurer la créature ; ils ont étudié la marche des astres, la distance respective des étoiles, la route des corps célestes, et à l’aide de certains calculs ils sont parvenus à connaître et à prédire les éclipses de soleil et de lune avec une telle précision, qu’elles arrivent à l’époque, au jour, à l’heure, de la manière et selon les dimensions qu’ils ont annoncées d’avance. Il faut pour cela beaucoup de travail et de pénétration ; mais en cherchant si loin le Créateur, ils ne l’ont pas trouvé, car il était près d’eux-mêmes ; et s’ils l’avaient trouvé, c’est qu’ils l’auraient eu dans leurs cœurs. Si donc ils ont pu découvrir ainsi les rapports des astres, la mesure des temps, savoir et prédire les éclipses, n’est-ce pas à bon droit, n’est-ce pas avec une souveraine justice qu’ils sont accusés de n’avoir pas connu, pour avoir négligé de le chercher, Celui qui a formé et ordonné tous ces êtres ? Pour toi ne t’inquiète pas beaucoup si tu ignores les courbes que décrivent les astres et les relations réciproques des corps célestes et des corps terrestres. Contemple la beauté du monde et loue les desseins du Créateur. Contemple et aime Celui qui t’a fait. Sois surtout fidèle à ce point : Aime Celui qui t’a fait, parce qu’il t’a fait à son image pour l’aimer.

3. Mais s’il est étonnant qu’à ces sages occupés de la créature, qu’à ces sages qui ont cherché le Créateur avec négligence et sans pouvoir le trouver, aient été cachées les vérités dont parlait le Christ quand il disait : « Ces choses ont été cachées aux sages et aux prudents ;» il est plus étonnant encore que des sages et des prudents se soient rencontrés qui aient pu connaître Dieu. « La colère de Dieu, est-il écrit, éclate du ciel sur l’impiété et l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice. » Quelle est cette vérité qu’ils retiennent dans l’injustice ? « C’est que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux. » Manifeste par quel moyen ? Le voici : « Dieu le leur a manifesté. » Mais comment le leur a-t-il manifesté, puisqu’il ne leur a pas donné sa loi ? Comment ? « En effet, ses perfections invisibles, rendues compréhensibles, depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles. » Il y eut donc des hommes, qu’il ne faut comparer ni à Moïse, le serviteur de Dieu, ni à ces nombreux prophètes qui contemplaient et saisissaient ces merveilles, avec le secours de l’Esprit-Saint, de cet Esprit qu’ils avaient puisé à longs traits avec leur foi et leur piété, et dont ils s’étaient nourris intérieurement ; il y eut, dis-je, des hommes différents qui purent s’élever par le moyen de la créature à la connaissance du Créateur et dire des œuvres de Dieu : Voilà ce qu’il a fait, ce qu’il gouverne, ce qu’il maintient ; et après avoir tout créé il remplit tout de sa présente. Ils ont pu tenir ce langage ; car c’est d’eux que saint Paul rappelle le souvenir dans les Actes des Apôtres. Après avoir dit que nous avons en Dieu la vie, le mouvement et l’existence, comme il parlait à ces Athéniens parmi lesquels avaient vécu ces savants illustres, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Ainsi que l’ont dit quelques-uns d’entre vous. » Or ce qu’ils ont dit n’est pas de peu d’importance, c’est que « nous avons en Dieu la vie, le mouvement et l’existence.[2] »

4. D’où vient donc qu’il ne faut pas les comparer aux prophètes, et qu’ils sont justement blâmés et accusés ? Écoute les paroles de l’Apôtre que j’avais commencé de rapporter : « La colère de Dieu éclate du haut du ciel sur toute l’impiété », sur l’impiété de ceux mêmes qui n’ont pas reçu la loi : « sur toute l’impiété et sur l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice. » Quelle vérité ? « Que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux. » Qui l’a rendu manifeste ? « Car Dieu le leur a manifesté. » Comment ? « Ses perfections invisibles, rendues compréhensibles, depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que son éternelle puissance et sa divinité. » Pourquoi les a-t-il manifestées ? « Afin que » ces hommes « soient inexcusables. » Mais en quoi sont-ils coupables, s’il a voulu les rendre inexcusables ? « En ce que connaissant Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu. »

5. Que dites-vous : « Ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ? – Ils ne lui ont point rendu grâces. » – Glorifier Dieu, c’est donc lui rendre grâces ? – Sans aucun doute. Qu’y a-t-il de pire que l’ingratitude envers Dieu dans un être qui est créé à son image et qui le connaît ? Oui

  1. Sag. 13, 9
  2. Act. 17, 28