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SERMON LXIV. LE SERPENT ET LA COLOMBE[1].

ANALYSE. – Quelles armes le Sauveur met-il aux mains de ses Apôtres lorsqu’il les envoie comme des brebis au milieu des loups ? Il leur recommande la prudence du serpent et la simplicité de la colombe. La prudence du serpent consiste principalement en ce qu’il sait se rajeunir et préserver sa tête en cas d’attaque. La simplicité de la colombe se manifeste surtout dans son amour pour la société de ses compagnes et dans la paix qui préside à ses petites querelles.

1. Vous avez entendu, mes frères, pendant la lecture du saint Évangile, comment Jésus-Christ Notre-Seigneur a su par sa doctrine encourager ses martyrs. « Voici que je vous envoie, dit-il, comme des brebis au milieu des loups[2]. » Considérez bien cette conduite, mes frères. Si un loup se présente au milieu d’un grand troupeau de brebis, ces brebis fussent-elles au nombre de plusieurs, mille, seul il jettera l’effroi parmi elles ; et si toutes ne deviennent pas sa proie, toutes sont néanmoins glacées de terreur. Pour quel motif donc, dans quel dessein et en vertu de quel pouvoir ose-t-on, non pas recevoir un loup au milieu des brebis, mais envoyer les brebis au milieu des loups ? « Je vous envoie, dit le Sauveur, comme des brebis au milieu des loups ; » non pas près des loups, mais « au milieu des loups. » Ces loups étaient nombreux et les brebis en petit nombre ; mais après avoir égorgé ces brebis, les loups se sont changés et sont devenus brebis eux-mêmes.

2. Écoutons donc les avis que nous donne Celui qui en promettant des couronnes impose le combat, et qui en attendant l’issue de la lutte soutient les combattants. Quelle espèce de combat ordonne-t-il ? « Soyez, dit-il, prudents comme des colombes[3]. » Comprendre et pratiquer cette recommandation, c’est mourir en paix, car c’est ne pas mourir. Nul en effet ne doit mourir en paix que celui qui voit dans la mort la fin de la mort même et le couronnement de la vie.

3. Aussi, mes très-chers, dois-je vous expliquer encore, après même l’avoir fait bien souvent, ce qu’on entend par être simples comme des colombes et prudents comme des serpents. Si la simplicité de la colombe nous est recommandée, pourquoi y ajouter la finesse du serpent ? Ce qui me plaît dans la colombe, c’est qu’elle n’a point de fiel ; ce que je redoute dans le serpent, c’est son venin. Tout cependant n’est pas redoutable dans le serpent ; s’il y a sujet de le haïr, il y a aussi sujet de l’imiter. Une fois accablé de vieillesse, et abattu sous le poids des ans, il se tire à travers les fentes de sa caverne, laissant ainsi sa vieille peau, afin de s’élancer tout rajeuni. Imite-le, chrétien, toi qui entends le Christ s’écrier ; « Entrez par la porte étroite [4]. » L’apôtre Paul ne dit-il pas aussi : « Dépouillez-vous du vieil homme avec ses actes, et revêtez l’homme nouveau[5] ? » 2 y a donc à imiter dans le serpent. Ne mourons pas de vieillesse, mourons pour la vérité. C’est mourir de vieillesse que de mourir pour quelque avantage temporel ; et se dépouiller de toutes ces vieilleries, c’est imiter la prudence du serpent. Imite-le aussi en préservant ta tête. Qu’est-ce à dire, en préservant ta tête ? En conservant en toi le Christ. Quelqu’un de vous n’a-t-il jamais remarqué en voulant tuer une couleuvre que pour préserver sa tête elle expose tout son corps aux coups de l’ennemi ? Ce qu’elle veut conserver principalement c’est la source de sa vie. Le Christ n’est-il pas notre vie ? N’a-t-il pas dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[6] ? » L’Apôtre n’a-t-il pas dit aussi : « Le Christ est la tête de l’homme[7] ? » Conserver en soi le Christ, c’est donc se conserver la tête.

4. Qu’est-il besoin maintenant de parler Longuement de la simplicité des colombes ? Il fallait se garder du venin dès serpents, l’imitation présentait là des dangers, quelque chose était à craindre ; mais il n’y a aucun danger à imiter la colombe. Vois comme les colombes aiment à vivre en société ; partout elles volent ensemble, ensemble elles mangent ; elles ne veulent pas rester seules, elles aiment la vie commune, et sont fidèles à l’amitié ; leurs murmures sont des gémissements d’amour et leurs petits, le fruit de tendres baisers. S’il leur arrive, comme nous l’avons souvent remarqué, des rixes à propos de leurs nids, ne sont-ce pas comme des disputes

  1. Mat. 10, 16
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Mat. 7, 13
  5. Col. 3, 9-10 ; Eph. 4, 22-24
  6. Jn. 14, 6
  7. 1 Co. 11, 53