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idoles. Ici je suis empêché. – Par qui ? – Par une puissance supérieure. Pardonne, ô prince ; tu me menaces de la prison, et elle, de l’enfer. – Ici donc, arme-toi de ta foi comme d’un bouclier, afin de pouvoir amortir tous les traits enflammés de l’ennemi [1].
14. Mais c’est un homme puissant qui conspire contre toi, qui essaie de te perdre : il aiguise un rasoir pour t’abattre la chevelure et non la tête. Ne venez-nous par de l’entendre dans ces paroles du psaume : « Comme un rasoir tranchant, tu prépares la fraude[2] ? » Pourquoi comparer à un rasoir les projets insidieux du méchant ? On ne fait usage du rasoir que pour abattre ce qui est en nous comme superflu. De même donc que sur notre corps les cheveux semblent une superfluité et s’enlèvent sans nuire à la chair : ainsi considère comme étant également superflu tout ce que peut contre toi la colère d’un homme puissant. Il te dépouille de ta pauvreté ; te dépouille-t-il également de tes richesses ? Pour toi la pauvreté et les richesses sont dans le cœur. On peut t’ôter le superflu, te faire essuyer des pertes, nuire même à ton corps. Mais avec la pensée d’une autre vie, la vie présente ne doit-elle pas être considérée elle-même comme quelque chose de superflu ? Les martyrs ne l’ont-ils pas méprisée ? Et pourtant ils n’ont pas perdu la vie, ils l’ont gagnée.
15. Soyez sûrs, mes frères, que Dieu ne laisse d’ennemis aux fidèles qu’autant qu’ils ont besoin d’être tentés et éprouvés. Soyez en sûrs, mes frères, et que personne n’affirme le contraire. Jetez tous vos soucis dans le Seigneur, jetez-vous en lui tout entiers ; il ne s’écartera pas pour vous laisser tomber. Il nous a créés et il veut qu’au sujet même de nos cheveux nous nous reposions sur lui. « En vérité je vous le déclare, dit-il, les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés[3]. » Dieu a compté nos cheveux ; s’il compte ainsi nos cheveux, quel compte ne tient-il pas de nos œuvres ? Il ne dédaigne donc pas ce qu’il y a de moindre en nous ; le créerait-il s’il le dédaignait ? C’est bien lui qui a créé nos cheveux, et lui qui en tient compte. Je les ai aujourd’hui, dis-tu, mais ne tomberont-ils pas ? – Écoute ce qu’il dit à ce sujet : « En vérité je vous le déclare, pas un cheveu ne tombera de votre tête[4]. » Comment craindre encore l’homme, quand tu es, ô homme, placé sur le sein de Dieu ? Ne consens pas à te détacher de ce sein paternel ; là tout ce que tu pourrais souffrir sera pour ton salut et non pour ta perte. Les martyrs ont souffert que leurs membres fussent déchirés, et à une époque chrétienne des chrétiens redoutent quelques injures ! Mais aujourd’hui on ne t’injurie qu’en tremblant ; on ne te dit pas nettement : Viens adorer l’idole ; on ne te dit pas nettement : Viens devant mes autels, prends-y part au banquet. Lors même qu’on te parlerait ainsi, se plaindra-t-on si tu refuses, te poursuivra-t-on devant les tribunaux, y dira-t-on contre toi : Il n’a point consenti à s’approcher de mes autels, à entrer dans, le sanctuaire que j’honore ? Tiendra-t-on ce langage ? – On ne l’osera, mais on aura pour me perdre recours à la ruse – Prépare donc ta chevelure ; c’est le rasoir qu’on aiguise ; on va te dépouiller de ton superflu, t’enlever ce que tu dois laisser toi-même. Mais qui pourra t’ôter ce qui peut te rester ? Que t’a enlevé l’homme puissant dans sa haine ? Que t’a-t-il enlevé d’important ? Ce qu’enlèvent un larron, un brigand et tout au plus un bandit. Enlève-t-il plus qu’un bandit s’il a le pouvoir d’ôter même la vie corporelle ? Et n’est-ce pas trop encore de parler ici de bandit ? Quel qu’il soit, un bandit est un homme. Et la vie peut être ôtée par la fièvre, par un scorpion, par un champignon mauvais. Ainsi toute la puissance des persécuteurs se réduit à la puissance d’un champignon. On mange un champignon mauvais et l’on meurt. Telle est la fragilité de la vie humaine. Ah ! puisqu’un jour tu dois la perdre, ne lutte pas pour la conserver jusqu’à te perdre toi-même.
16. Le Christ est notre vie réelle, considère le Christ. Il est venu pour souffrir, mais aussi pour jouir ; pour être méprisé ; mais aussi pour être glorifié ; pour mourir, mais aussi pour ressusciter. Le labeur t’effraie ? Vois le salaire. Pourquoi chercher à obtenir dans les délices ce que le travail seul peut procurer ? Tu crains de perdre ton argent, parce que tu ne te l’es procuré qu’avec beaucoup de peine. S’il t’a fallu de la peine pour acquérir cet argent que tu laisseras un jour, ne fût-ce qu’à la mort ; tu voudrais parvenir sans peine à l’éternelle vie ? Estime-la davantage, puisqu’en y parvenant à la suite de tous tes travaux, tu ne la quitteras jamais. Si tu fais cas de ce que tu dois à tous tes travaux, mais pour le laisser un jour ; avec quelle ardeur ne devons-nous pas désirer ce qui doit nous demeurer éternellement ?
17. N’ajoutez à leurs discours ni foi ni crainte. Ils nous disent ennemis de leurs idoles. Daigne

  1. Eph. 6, 16
  2. Psa. 51, 4
  3. Mat. 10, 30
  4. Luc. 21, 18