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pourraient commander contre elle ; de même qu’on ne doit pas accomplir ce que la patrie pourrait commander contre Dieu. Veux-tu donc être guérie ? Veux-tu, après avoir éprouvé cette perte de sang, après avoir enduré cette maladie durant douze années, après avoir dépensé tout ton bien en remèdes sans avoir recouvré la santé, veux-tu être guérie, ô femme ? et je m’adresse à toi comme figure de l’Église. Ton père te conseille une chose et ton peuple un autre. Mais le Seigneur te dit : « Oublie ton peuple et la maison de ton père. » Pourquoi ? En vue de quel profit ? de quelle récompense ? « Car le Roi s’est épris de ta beauté[1]. » Il s’est épris de son œuvre, et pour la rendre belle il l’a aimée dans sa laideur. Tu étais encore infidèle et souillée ; pour toi néanmoins il a répandu son sang, il t’a rendue belle et fidèle, et il a aimé en toi ses dons. Qu’as-tu en effet apporté à ton Époux ? Quelle dot as-tu reçue de ton premier père et de ton premier peuple ? Les hontes et les ignominies du péché. Il t’a ôté ces haillons, il t’a dépouillée de ces lambeaux ; il a eu pitié de toi afin de te parer, et il t’a parée afin de t’aimer.
9. Que faut-il, frères, ajouter encore ? Chrétiens vous venez d’entendre qu’ « en offensant vos frères et en blessant leur conscience encore faible, vous offensez le Christ lui-même. » Ne méprisez pas ce langage, si vous ne voulez être effacés du livre de vie. Pourquoi chercher des termes choisis et agréables pour vous dire ce que la douleur nous force à exprimer d’une manière quelconque et ne nous permet point de taire ? Vouloir ne tenir aucun compte de cette vérité, c’est manquer au Christ ; n’est-ce pas encore faire autre chose ? Nous voulons convertir ce qui reste de païens, et vous faites obstacle sur la route ; ils se heurtent et retournent quand ils ont dessein devenir à nous. Car ils disent en eux-mêmes : Pourquoi abandonner nos dieux, puisque les Chrétiens les adorent avec nous ? – Loin de moi, dis-tu, la pensée d’adorer les dieux des gentils. – Je le sais, je le comprends, je le crois. Mais pourquoi n’avoir point d’égard pour la conscience du faible, car tu la blesses ? Pourquoi, en méprisant ce qui est acheté, n’en estimer pas davantage le prix ? Et vois quel est ce prix ! « Par ta science, dit l’Apôtre, périra le faible ; » il périra par cette science que tu prétends avoir, qui te montre que l’idole n’est rien, qui te fait penser à Dieu et asseoir paisiblement aux banquets idolâtriques. Oui par cette science périra le faible. Or ne méprise pas ce faible, car l’Apôtre ajoute que « pour lui le Christ est mort [2]. » Es-tu donc porté à n’en faire aucun cas ? Apprécie ce qu’il coûte, et compare l’univers entier au sang de Jésus-Christ. Dans la crainte toutefois que tu ne considères ton iniquité comme blessant le faible seulement, et que tu ne la regardes comme légère et peu digne d’attention, le texte sacré ajoute : « C’est contre le Christ que vous péchez. » On dit souvent : Offenser un homme est-ce donc offenser Dieu ? — Nie que le Christ soit Dieu. L’oseras-tu ? Et néanmoins apprends-tu autre chose à ces festins où tu participes ? Quelle différence entre la doctrine qu’on y entend et la doctrine du Christ ? Où as-tu appris que le Christ n’est point Dieu ? Ce sont les païens qui le soutiennent. Voilà donc ce que produisent ces banquets détestables ; voilà comment les pervers entretiens corrompent les bonnes mœurs[3] ! Tu ne saurais, là, parler de l’Évangile, et tu y entends discourir des idoles ! Tu oublies que le Christ est Dieu, et ce que tu as bu alors tu le répands ensuite dans l’Église ! N’oses-tu pas dire, n’oses-tu pas murmurer ici au milieu de la foule : Le Christ n’était-il pas un homme ? N’a-t-il pas été crucifié ? C’est ce que les païens t’ont enseigné ; voilà la perte de ton salut, la preuve que tu n’as point touché la frange sacrée. Touche ici cette frange divine et recouvre le salut. Nous t’avons montré comment tu dois la toucher pour comprendre ces paroles : « Quiconque voit son frère au festin des idoles ; » touche-la aussi pour apprendre d’elle la divinité du Christ. Ne disait-elle pas effectivement, à propos des Juifs : « Leurs pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles[4] ? » Voilà le vrai Dieu que tu offenses en prenant part aux festins des faux dieux.
10. Il ne s’agit pas d’un Dieu, dit-on, mais du génie de Carthage. – Eh ! il s’agirait donc d’un Dieu, s’il y était question de Mars ou de Mercure ? Il faut ici considérer, non la chose en elle-même, mais l’idée que s’en font les païens. Je sais comme toi que cette statue n’est qu’une pierre ; car si par génie on entend une gloire, que les citoyens de Carthage vivent honorablement et ils seront eux-mêmes le génie de la ville. Et si par génie on veut entendre le démon, tu sais ce qui est

  1. Psa. 44, 11, 12
  2. 1 Co. 8, 11
  3. Id. 15, 33
  4. Rom. 9, 5