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été victime de vos serments. Il ne dit pas cela, il dit : « Recevez le royaume ; parce que j’ai eu faim et que vous m’avez donné à manger. » Combien cette œuvre est excellente, puisque sans rien dire de toutes les autres, le Seigneur ne fait mention que de celle-là ! Il dit de même aux autres : « Allez au feu éternel qui fut préparé pour Satan et pour ses anges. » Que n’aurait-il pu reprocher à ces impies, s’ils lui avaient demandé : Pourquoi nous condamnez-vous au feu éternel ? Que demandes-tu, adultère, assassin, fripon, sacrilège, blasphémateur, incrédule ? Rien de tout cela ; mais « Parce que j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. »
10. Je vous vois saisis comme je le suis moi-même. Et de fait il y a ici quelque chose d’étonnant. Or je cherche à pénétrer, autant que j’en suis capable, la raison de ce mystère, et je ne vous la cacherai pas. Il est écrit : « Comme l’eau éteint le feu, ainsi l’aumône éteint le péché [1]. » Il est écrit encore : « Renferme l’aumône dans le cœur du pauvre et elle priera le Seigneur pour toi[2]. ». Il est également écrit : « Écoute mon conseil, ô Roi, et rachète tes péchés par des aumônes[3]. » Il y a dans les livres divins beaucoup de passages qui servent à prouver combien l’aumône a d’efficacité pour éteindre les pêches et les anéantir. Aussi quand il s’agit de condamner et plus encore lorsqu’il s’agit de couronner, le Seigneur ne prend en considération que les aumônes. C’est comme s’il disait : En vous examinant, en vous pesant, en sondant vos œuvres avec une parfaite exactitude, il m’est difficile de ne pas vous trouver condamnables ; mais « allez dans mon royaume, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. » Vous n’y allez donc pas pour n’avoir pas péché ; mais pour avoir racheté vos péchés par des aumônes. En s’adressant aux réprouvés : « Allez, leur dit-il, au feu éternel qui fut préparé pour Satan et pour ses anges. » Convaincus et coupables depuis longtemps, ils tremblent trop tard et trop tard font attention à leurs iniquités. Comment oseraient-ils avancer qu’ils sont condamnés injustement et qu’injustement cette sentence est lancée contre eux par le Juge qui est la justice même ? En écoutant le cri de leurs consciences, en considérant toutes les blessures faites par eux à leur âme, comment oseraient-ils s’écrier : Nous sommes injustement condamnés ? Longtemps auparavant il a été dit d’eux au livré de la Sagesse : « Leurs iniquités se soulèveront contre eux pour les accuser [4]. » Sûrement donc ils reconnaîtront qu’ils sont justement condamnés pour leurs péchés et leurs crimes. Mais il semble que le Seigneur leur dise : Non, ce n’est pas pour cela, ne le croyez pas ; mais « c’est parce que j’ai eu faim et que vous ne m’avez pas donné à manger. » Si renonçant à ces actes coupables et vous unissant à moi, vous eussiez racheté par, des aumônes vos crimes et vos péchés, ces aumônes vous délivreraient aujourd’hui et vous déchargeraient du fardeau de tant d’iniquités. « Heureux en effet les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde[5]. » Maintenant donc « allez au feu éternel. — Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas exercé la miséricorde[6]. »
11. Ce que je vaudrais vous recommander, mes frères, c’est de donner le pain de la terre et de solliciter le pain du ciel. Le Seigneur est ce pain. « Je suis, dit-il, le pain de vie[7]. » Mais comment te donnera-t-il, si tu ne donnes pas à l’indigent ? Un autre a besoin de toi et tu as besoin d’un autre ; donc celui qui a besoin de toi a besoin d’un indigent, tandis que Celui dont lu as besoin n’a besoin de rien lui-même. Fais donc ce que tu veux que l’on fasse pour toi, Il arrive parfois à des amis de se reprocher en quelque sorte leurs bienfaits réciproques. Je t’ai rendu ce service, dit celui-ci ; et moi cet autre, reprend celui-là. Mais Dieu ne veut pas que nous lui donnions pour le dédommager de ce qu’il nous a donné. Il n’a besoin de rien, ce qui le rend véritablement Seigneur. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que voies n’avez aucun « besoin de mes biens[8]. » Il est donc Seigneur, véritablement Seigneur et n’a aucun besoin de nos biens. Afin toutefois que nous puissions faire pour lui quelque chose, il daigne souffrir de la faim dans la personne de ses pauvres. « J’ai eu faim, dit-il, et vous m’avez donné à manger, — Seigneur, quand vous avons-nous vu souffrir la faim ? – Quand vous avez donné à l’un de mes petits, vous m’avez donné à moi-même. » Que l’on apprenne donc par ce peu de mots et que l’on considère avec l’attention convenable combien il y a de mérite à nourrir le Christ dans sa faim et combien on est coupable de ne pas le faire.

  1. Sir. 3, 33
  2. Id. 29, 15
  3. Dan. 4, 24
  4. Sag. 4, 20
  5. Mat. 5, 7
  6. Jac. 2, 13
  7. Jn. 6, 36
  8. Psa. 15, 2