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sur la terre comme au ciel ? » Votre commandement est agréable à mon esprit ; que ma chair aussi s’y conforme et que disparaisse enfin cette lutte que décrit l’Apôtre en ces termes : « La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair [1]. » Quand l’esprit convoite contre la chair, c’est la volonté divine qui s’accomplit au ciel ; et quand la chair ne convoite plus contre l’esprit, déjà cette même volonté s’accomplit sur la terre. Or la paix sera parfaite quand Dieu le voudra ; si maintenant il veut le combat, c’est afin de pouvoir donner la victoire. On peut aussi faire une autre application de la même demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Figurons-nous l’Église comme le ciel, car elle porte Dieu ; et voyons dans la terre les infidèles à qui il a été dit : « Tu es terre et tu retourneras en terre[2]. » Par conséquent, lorsque nous prions pour nos ennemis, pour les ennemis de l’Église, pour les ennemis du nom chrétien, nous demandons à Dieu « que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel », par ceux qui le blasphèment comme par ceux qui le servent, et que tous deviennent ciel.
5. « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » On peut entendre que par ces paroles nous demandons simplement ce qui est nécessaire à la vie de chaque jour, pour l’avoir en abondance, ou au moins pour n’en pas manquer. Nous disons de chaque jour, pendant ce qui est appelé aujourd’hui[3]. Chaque jour en effet nous vivons, nous nous éveillons chaque jour, nous mangeons et nous avons faim chaque jour. Que Dieu nous donne donc notre pain de chaque jour. Pourquoi n’avoir point parlé du vêtement ? Car nous avons besoin, pour vivre ; du boire et du manger, et pour nous abriter, du vêtement et d’un asile. Ne désirons rien de plus. « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, dit l’Apôtre, et nous n’en saurions emporter rien ; dès que nous avons le vivre et le vêtement, contentons-nous[4]. » Qu’il n’y ait plus d’avarice et l’a nature est assez riche. Si dans ces mots : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » nous pouvons entendre avec raison ce qui concerne la vie de chaque jour, pourquoi nous étonner que le pain comprenne aussi tous les autres aliments nécessaires ? Que dit Joseph en invitant ses frères ? « Ces hommes aujourd’hui mangeront le pain avec moi[5]. » Ne devaient-ils manger que du pain ? Le pain comprenait tout le reste. Ainsi en demandant notre pain de chaque jour, nous demandons tout ce qui sur la terre est nécessaire à notre corps. Mais que dit le Seigneur Jésus ? « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît[6]. » Cette même demande : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien », s’applique aussi parfaitement à votre Eucharistie, Seigneur, à cette nourriture de chaque jour. Les fidèles savent ce qu’ils reçoivent alors, et il leur est salutaire de prendre cet aliment quotidien, nécessaire à la vie présente. Ils prient donc pour eux-mêmes ; ils demandent à devenir bons, persévérer dans l’innocence, dans la foi et les bonnes œuvres. Voilà ce qu’ils ambitionnent, voilà ce qu’ils implorent, car s’ils ne persévéraient pas dans la pratique du bien, ils seraient privés de ce pain, mystérieux. Que signifie donc : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ? » Accordez-nous de vivre de façon à n’être pas éloignés de votre autel. Quant à la parole de Dieu, que l’on vous explique chaque jour et que l’on vous rompt en quelque sorte, elle est aussi un pain quotidien. Le corps demande le pain vulgaire, l’esprit a besoin de ce pain spirituel. Aussi nous le demandons également, et le pain quotidien comprend tout ce qui nous est nécessaire dans cette vie, soit pour notre âme, soit pour notre corps.
6. Nous disons encore : « Pardonnez-nous nos offenses ; » ne cessons de le dire, car nous disons vrai. Eh.! quel homme vit dans ce corps sans avoir de péchés ? Quel homme vit de manière à n’avoir pas besoin de faire cette demande ? On peut s’enfler, maison ne saurait se justifier ; et il est bon d’imiter le publicain, sans s’enorgueillir comme le pharisien. Celui-ci monte au temple, il y vante ses mérites sans découvrir les plaies de son âme. L’autre en disant : « Seigneur ayez pitié de moi, pauvre pécheur[7] », savait mieux pourquoi il était venu, Considérez donc, mes frères, que c’est notre Seigneur Jésus, notre Seigneur Jésus lui-même qui a enseigné cette demande à ses disciples, à ses grands, à ses premiers Apôtres, les chefs du troupeau dont nous faisons partie. Mais si ces béliers implorent le pardon de leurs fautes, que doivent faire les

  1. Gal. 5, 17
  2. Gen. 3, 19
  3. Héb. 3, 13
  4. 1 Ti. 6, 78
  5. Gen. 43, 16
  6. Mat. 6, 33
  7. Luc. 18, 10-13