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son courage ? Quelle est-elle ? C’est quand on nous pousse à nous venger. On s’enflamme de colère, on menace de sa vengeance : voilà la tentation horrible. C’est perdre, hélas ! le moyen d’obtenir le pardon de ses autres iniquités. Tu t’étais laissé aller à d’autres impressions illicites, à d’autres passions coupables, et tu devais être guéri de ces blessures en disant : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » En te poussant à la vengeance, on te fait perdre le mérite de cette parole : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; » et en perdant ce mérite, tu conserves tous tes péchés, tu n’es déchargé d’absolument aucun.
12. Notre Maître et Sauveur savait que cette tentation est la plus à craindre en cette vie. Aussi en nous enseignant les' six ou sept demandes de l’oraison dominicale, il n’a cherché à nous en expliquer aucune, à nous en recommander aucune avec autant d’instance que celle-ci. N’avons-nous pas dit : « Notre Père qui êtes dans les cieux ? » Pourquoi donc, après cette prière, ne nous a-t-il rien expliqué de ce qu’il a mis au commencement, à la fin ou au milieu ? Pourquoi ne dit-il rien de ce qui vous arriverait si le nom du Seigneur n’était pas sanctifié en vous, si vous n’étiez pas admis dans son royaume, si sa volonté n’était pas faite en vous comme elle l’est au ciel, ou s’il ne veillait pas sur vous pour vous empêcher de succomber à la tentation ? Que dit-il donc ? « En vérité je vous le déclare, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes ; » ce qui se rapporte à ces mots : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui « nous ont offensés. » Sans donc s’arrêter aux autres demandes qu’il nous a enseignées, il insiste avec force sur celle-ci. De fait, il n’était pas si nécessaire d’appuyer sur les articles à la violation desquels le pécheur connaît le remède ; mais il fallait insister spécialement sur celui dont la transgression rend incurables tous les autres péchés. Tu dois dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » Lesquels ? Hélas ! nous n’en avons que trop, car nous sommes des hommes. J’ai parlé un peu plus que je n’aurais dû, j’ai dit ce que je devais taire, j’ai ri plus qu’il ne fallait, j’ai mangé, j’ai bu au-delà du nécessaire ; j’ai écouté avec plaisir ce que je n’aurais pas dû ; j’ai regardé volontiers ce que je ne devais pas et volontiers j’ai pensé à ce qui m’était interdit : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui « nous ont offensés. » Tu es perdu, si tu ne peux dire cela.
13. Réfléchissez, mes frères ; réfléchissez, mes enfants ; réfléchissez, enfants de Dieu ; réfléchissez à ce que je vous dis. Luttez de toutes vos forces contre votre cœur ; et si vous, voyez votre colère se dresser contre vous, implorez contre elle le secours de Dieu. Que Dieu te rende vainqueur ; oui, que Dieu te rende vainqueur, non pas à l’extérieur, de ton ennemi, mais à l’intérieur, de ton âme. Prie, et il le viendra efficacement en aide. Il aime mieux nous voir lui demander cela que la pluie. Vous voyez en effet, mes chers amis, combien de demandes nous a enseignées le Christ notre Seigneur, et il en est une à peine qui concerne le pain quotidien. Il veut donc que nous rapportions tous nos desseins à l’éternelle vie. De quoi craignons-nous de manquer, puisqu’il s’est engagé envers nous par promesse, puisqu’il a dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ; car votre Père sait que vous en avez besoin avant que vous les lui demandiez [1] ? » – « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Beaucoup en effet ont été éprouvés même par la faim, ils s’y sont montrés comme un or pur et n’ont pas été abandonnés de Dieu ; au lieu qu’ils y auraient péri, si leur cœur n’avait pas été soutenu par le pain spirituel de chaque jour. Soyons surtout affamés de ce pain. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés[2]. » Dieu peut jeter sur notre faiblesse un regard de miséricorde et répondre à cette prière : « Souvenez-vous que nous sommes poussière[3]. » Celui donc qui a fait l’homme d’un peu de poussière, et qui a animé cette poussière, a livré pour elle son Fils unique à la mort. Ah ! combien ne nous aime-t-il pas ? Qui pourrait l’exprimer ? Qui pourrait même le concevoir dignement ?

  1. Mt. 6, 33, 32,8
  2. Id. 5, 6
  3. Ps. 102, 14