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se soustraire. Car un peu plus tôt ou un peu plus lard chacun doit mourir ; mais pour retarder tant soit peu ce moment, nous gémissons, nous prions, nous soupirons, nous crions vers Dieu. Eh ! ne devons-nous pas crier bien plus encore pour obtenir d’arriver où jamais nous ne mourrons ?
4. Aussi poursuivons-nous : « Que votre nom soit sanctifié. » Nous lui demandons en effet que son nom soit sanctifié en nous ; car en lui il est toujours saint. Et comment, si ce n’est en nous rendant saints, sera-t-il sanctifié en nous ? Nous n’avons pas été toujours saints, c’est son nom qui nous fait tels ; mais lui est toujours saint, son nom l’est toujours également, C’est donc pour nous et non pour Dieu que nous prions ici. Quel bien pouvons-nous lui souhaiter, puisqu’il n’est susceptible d’aucun mal ? C’est à nous que nous voulons du bien, en demandant que son nom soit sanctifié, que ce nom, qui est toujours saint, soit sanctifié en nous.
5. « Que votre règne arrive », Demandons, ne demandons pas, ce règne arrivera sûrement. Mais le règne de Dieu est éternel. Quand en effet le Seigneur n’a-t-il – pas régné ? Quand a-t-il commencé de régner ? Son règne n’a pas eu de commencement, il n’aura pas de fin. Sachez encore que c’est pour nous et non pas pour Dieu que nous prions ici. Nous ne disons pas : « Que votre règne arrive », comme si nous lui souhaitions un royaume ; c’est nous qui serons son royaume, si nous faisons dans son amour des progrès par la foi ; et tous les fidèles rachetés par le sang de son Fils unique composeront son empire. Or ce règne de Dieu arrivera après la résurrection des morts, car alors il viendra lui-même en personne. Et après cette résurrection des morts, il les séparera, comme il l’a annoncé, et placera les uns à sa droite, les autres à sa gauche. À ceux de droite il dira : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume [1]. » C’est là le royaume que nous, demandons, que nous sollicitons par ces paroles : « Que votre règne are rive », qu’il nous soit donné. Si nous étions du nombre des réprouvés, ce royaume serait pour d’autres et non pour nous ; il sera pour nous au contraire si nous comptons parmi les membres de son Fils unique. Il ne tardera même pas : reste-t-il autant de siècles qu’il s’en est écoulé ? « Petits enfants, dit l’Apôtre bien-aimé, voici la dernière heure [2] ; » mais comparée môme au grand jour, cette heure est longue, et toute dernière qu’elle soit, de combien d’ans n’est-elle pas composée ? Soyez néanmoins comme un homme qui veille, qui s’endort, et qui s’éveille pour régner. Veillons maintenant, nous nous endormirons à la mort, à la fin nous ressusciterons pour régner sans fin.
6. « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » C’est la troisième demande « Que votre volonté soit fait sur la terre comme au ciel. » Elle est tout entière à notre avantage. Il est nécessaire en effet que la volonté de Dieu s’accomplisse, et cette volonté exige que les bons règnent et que les méchants soient damnés. Peut-elle ne pas s’exécuter ? Mais enfin quel avantage nous souhaitons-nous en disant : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? » Écoutez. On peut comprendre cet article de bien des manières, et il y faut voir beaucoup de choses. Dire à Dieu : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », c’est lui dire : Les Anges ne vous offensent pas ; faites que nous ne vous offensions pas non plus. « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », qu’est-ce dire encore ? C’est dire : Tous les saints patriarches, tous les prophètes, tous les Apôtres, tous les hommes spirituels sont pour Dieu comme le ciel, et comparés à eux nous ne sommes que la terre. « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : » en nous comme en eux. « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; » c’est dire encore : L’Église de Dieu est le ciel, ses ennemis sont la terre. Nous souhaitons à nos ennemis de croire aussi et de devenir chrétiens, afin que de cette manière la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel. « Que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel ; » c’est dire encore : Notre esprit est le ciel et notre corps la terre ; de même donc que notre esprit se renouvelle en croyant, qu’ainsi notre corps se rajeunisse en ressuscitant, et que la volonté de Dieu s’accomplisse dans la terre comme au ciel. C’est dire aussi : Quand notre âme voit la vérité et s’y complaît, elle est le ciel ; le ciel, c’est « de me complaire dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur. » Et la terre, c’est « de voir dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon âme[3]. » Quand donc cette lutte aura cessé, quand il y aura pleine concorde entre la chair et l’esprit, la volonté de

  1. Mt. 25, 34
  2. 1 Jn. 2, 18
  3. Rom. 7, 22-23