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ton ennemi quand il te maltraitait : est-ce trop encore d’aimer un homme qui te supplie ? Que réponds-tu ? Il me faisait du mal. Tu le haïssais alors. J’aimerais mieux que tu ne l’eusses pas fait ; j’aimerais mieux qu’au moment où tu étais en proie à ses fureurs, tu te fusses rappelé cette prière du Seigneur : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[1]. » Je désirerais donc bien vivement qu’à l’époque même où tu ressentais les coups de ton ennemi, tu eusses arrêté les yeux sur le Seigneur ton Dieu prononçant ces paroles. Il a fait cela, diras-tu peut-être ; mais c’est comme Dieu, comme Christ, comme Fils de Dieu, comme son Fils unique, comme Verbe fait chair. Moi au contraire, méchant et faible, de quoi suis-je capable ? – Il y a trop de disproportion entre ton Seigneur et toi ? Pense donc à cet homme qui fut, comme toi, son serviteur. On lapidait saint Étienne, et sous cette grêle de pierres il s’était agenouillé et priait pour ses ennemis. « Seigneur, disait-il, ne leur imputez point ce péché[2]. » Ils lançaient des pierres, bien éloignés de demander pardon, et lui le sollicitait pour eux. Ressemble, efforce-toi de ressembler à cet homme. Pourquoi traîner toujours ton cœur sur la terre ? Elève, élève-le comme on te le dit ; fais effort, aime tes ennemis. Si tu ne peux les aimer quand ils te frappent, aime-les au moins quand ils t’implorent. Aime l’infortuné qui te dit : J’ai mal fait, mou frère, pardonne-moi. En ne pardonnant pas alors, non-seulement tu effaces de ton cœur l’oraison dominicale, mais tu seras effacé du livre de Dieu.
17. Mais si tu pardonnes alors, si tu éloignes la haine, de ton cœur, tout en t’invitant à l’éloigner toujours, je ne demande pas que tu renonces à la justice. – Que faire, si je dois châtier cet homme qui implore ma clémence ? – Fais ce que tu voudras. N’aimes-tu pas ton fils, lors même que lit le punis ? Parce que tu en veux faire ton héritier, tu t’inquiètes peu de ses larmes quand tu le frappes. Dépose donc tout ressentiment lorsque ton ennemi recourt à ton indulgence. Il n’est pas sincère, il dissimule, dis-tu peut-être.O juge du cœur d’autrui ! Apprends-moi aussi les pensées de ton père ; peux-tu me dire celles mêmes que tu avais hier ? Cet ennemi te conjure, il le demande pardon. Pardonne, oui, pardonne. En refusant, tu ne lui fais pas de mal, mais à toi. Il sait en effet ce qu’il a à faire. Serviteur toi-même, tu ne veux pas pardonner à celui qui est serviteur comme toi ; il ira vers votre commun Seigneur, et lui dira : Seigneur, j’ai prié mon compagnon de me pardonner, et il a refusé : pour vous, pardonnez-moi. Le Seigneur ne peut-il remettre les offenses à son serviteur ? Celui-ci reçoit donc le pardon et revient absous, tandis que tu demeures lié. Comment lié ? Bientôt il te faudra prier, il te faudra dire « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; » et le Seigneur te répondra : « Méchant serviteur, quand tu m’étais si redevable, tu m’as prié et je t’ai remis ta dette ; ne fallait-il donc pas que tu prisses pitié de ton compagnon comme j’ai eu pitié de toi[3] » ? Ces paroles viennent de l’Évangile et non de moi. Si au contraire tu accordes le pardon à qui te le demande, tu peux réciter la divine prière, et sans pouvoir aimer encore celui qui te blesse tu peux dire néanmoins : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Achevons.

18. « Et ne nous induisez pas en tentation. Pardonnez-nous, nos offenses comme nous, pardonnons à cour qui nous ont offensés ; » voilà ce que nous disons en vue des péchés commis, quand il ne dépend plus de nous qu’ils ne le soient pas. Tu peux travailler à ne réitérer pas ce que tu as fait. Mais ne fais-tu pas aussi quelque chose pour effacer le mal commis ? Pour effacer ce mal voici un moyen ; « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », Et pour éviter de retomber, quel moyen ? « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal, c’est-à-dire de la tentation même.
19. Ainsi ces trois demandes : « Que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », concernent toute la vie de l’homme. Toujours en effet le nom du Seigneur doit être sanctifié en nous, nous devons être sous son empire et toujours nous devoirs faire sa volonté ; ces devoirs sont éternels, Nous avons maintenant besoin du pain de chaque jour, et le reste de la prière, à partir de cet article, se rapporte aux nécessités de là vie présente. Nous avons dans cette vie besoin du pain de chaque jour ; besoin aussi qu’on nous pardonne nos péchés.

  1. Lc. 23, 34
  2. Act. 7, 59
  3. Mt. 8, 3, 33