Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

nous nous sommes perdus. « Vous vous êtes fait, Seigneur, notre recours. » Et pourquoi craindrions-nous, mes frères, que rien ne puisse nous assouplir, si nous nous livrons entre ses mains pour être domptés ? Tu as su dompter le lion que tu n’as pas créé ; et Celui qui t’a créé ne te dompterait pas ? Comment d’ailleurs es-tu parvenu à dompter ces animaux terribles ? As-tu autant de force corporelle ? Comment donc es-tu parvenu à les dompter ? Ce que nous appelons des bêtes de somme ne sont pas moins des animaux farouches ; et on ne pourrait s’en servir si elles n’étaient apprivoisées. Mais parce qu’on ne les voit ordinairement que sous la main de l’homme, sous l’action du frein et de la puissance de l’homme, tu les crois douces de leur nature. Considère, donc les plus redoutables animaux féroces. Le lion rugit, qui ne tremblerait ? Tu te crois cependant capable de le dompter. Par quel, moyen ? Ce n’est point par la force des organes, mais par la raison intérieure. Pour être formé à l’image de Dieu, tu es plus fort que le lion. C’est l’image de Dieu qui dompte cet animal terrible ; et Dieu ne dompterait point son image.
4. En lui est notre espoir, soumettons-nous à lui et implorons sa miséricorde. Mettons en lui notre confiance, et jusqu’à ce que nous soyons domptés, entièrement domptés ou parfaits, supportons sa main. Souvent pour nous assujettir il emploie même le fouet. Si tu l’emploies à ton tour, si tu fais usage de la verge pour assouplir tes bêtes de charge ; Dieu ne (emploiera-t-il pas pour nous dompter, nous qu’il veut élever de la vie animale à la dignité de ses enfants ? Tu entreprends de dompter ton cheval ; et que lui donneras-tu quand il sera dressé, quand tu commenceras à le monter paisiblement, quand il obéira à ta voix, quand enfin il sera devenu ta bête de charge, le soutien de ta faiblesse : jumentum, adjumentum infirmitatis tuae ? Que recevra-t-il en retour ? Tu ne l’enterreras pas même après sa mort, mais tu l’abandonneras en pâture ; aux animaux de proie. À toi au contraire, quand tu seras dompté, Dieu réserve un héritage qui n’est autre que lui-même ; et après une mort de quelque temps il te ressuscitera. Il te rendra ton corps avec tous ses cheveux, et pour l’éternité il te placera avec les Anges. Là tu n’auras plus besoin d’être dompté, tu n’auras plus besoin que d’être la possession de ce Père infiniment doux. Dieu en effet sera tout en tous ;[1] il n’y aura plus d’infortune pour nous exercer, la seule félicité sera notre bonheur. Point d’autre pasteur que notre Dieu ; point d’autre breuvage que lui ; il sera notre gloire ; il sera nos richesses. Nous trouverons réuni en lui seul tout ce qu’ici nous cherchons de tous côtés.
5. C’est pour cet avenir qu’il dompte l’homme, et l’homme trouve sa main intolérable ! C’est pour cet avenir qu’il dompte l’homme, et si pour lui assurer ces immenses avantages il recourt quelquefois à la verge, l’homme murmure coutre lui ! Ne connaissez-vous pas ce conseil de l’Apôtre : « Si vous cherchez à vous soustraire au châtiment, vous êtes donc des bâtards », le fruit de l’adultère, « et non des enfants légitimes. Quel est en effet le fils que son père ne châtie point ? Quand nous recevions la correction des pères de notre chair, nous les révérions ; ne nous soumettrons-nous pas beaucoup plus au Père des esprits, pour trouver la vie ?[2] » Qu’a pu te donner ton père en te corrigeant, en te frappant, en te fouettant, en te meurtrissant ? Il n’a pu te communiquer une vie éternelle. Eh ! comment t’aurait-il donné ce qu’il ne pouvait se donner à lui-même ? S’il te châtiait à coups de fouets, c’était en vue des épargnes, si modiques qu’elles fussent, demandées par lui à l’usure et au travail ; c’était pour t’empêcher de dissiper par ton inconduite les sueurs qu’il te laissait. S’il a meurtri son fils, c’était pour ne pas laisser perdre ses travaux ; car il ne t’a laissé que ce qu’il ne pouvait ni garder ici, ni en emporter ; il ne t’a rien laissé de ce qu’il pouvait conserver ; il ne t’a cédé que pour avoir un successeur. Mais lorsque ton Dieu, lorsque ton Rédempteur, lorsque ton Père véritable te châtie, te dompte, te forme, dans quel dessein agit-il ! Afin de t’appeler à un héritage où tu ne dois pas perdre ton père, à un héritage qui sera ton Père lui-même. C’est dans ce dessein qu’il te corrige, et tu murmures ! Tu vas peut-être jusqu’au blasphème lorsque tu es éprouvé ! Eh ! où fuiras-tu, de devant son esprit ? S’il te laisse sans te fouetter, s’il t’abandonne à tes blasphèmes, crois-tu échapper aux rigueurs de son jugement ? Ne vaut-il pas mieux pour toi être châtié et accueilli, que d’être épargné et abandonné par lui ?

6. Ainsi donc, disons au Seigneur notre Dieu ; « Vous êtes, Seigneur, notre recours, de génération en génération. » Vous l’êtes dans la première et dans la seconde. Vous l’êtes, puisque

  1. 1 Cor. 15, 28
  2. Héb. 12, 7-9