Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/266

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour la sonder, et pour la réfuter en l’étudiant. Consens à m’entendre, puisque j’ai prêté l’oreille à ce qu’il t’a plu de me dire. Dieu siège au ciel et en même temps il mesure le ciel avec la paume de sa main. Ainsi le ciel est à la fois large et étroit ; large puisque Dieu y est assis, étroit puisqu’il le mesure comme il vient d’être dit ? Ou bien ne faut-il à Dieu pour s’asseoir que l’espace occupé par la paume de sa main ? S’il en est ainsi, il ne nous a point faits à son image, car nous avons la paume de la main bien plus étroite que l’espace occupé quand nous sommes assis ; et si en Dieu la paume de la main est aussi étendue que la place occupée par lui sur son siège, il nous a donné des membres bien différents des siens ; il n’y a point là de ressemblance. Qu’un cœur chrétien rougisse de se faire une telle idole. Prends donc ici le ciel pour tous les saints ; car la terre s’entend aussi de tous ceux qui l’habitent : « Que toute la terre vous adore [1]. » Or si en pensant aux habitants de la terre nous pouvons dire : « Que toute la terre vous adore ; » pourquoi ne pourrions-nous dire également, en pensant aux habitants du ciel : Que tout le ciel vous porte ? Tout en habitant sur la terre, tout en foulant la terre aux pieds, les saints eux-mêmes ont le cœur fixé au ciel. Ce n’est pas en vain qu’on les invite à y tenir leur cœur élevé, ni en vain qu’ils affirment être fidèles à ce conseil ; ce n’est pas en vain non plus que le chef de l’homme est élevé ; aussi est-il dit dans ce sens mystérieux« Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, où le Christ siège à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre[2]. » Considérés comme vivant au ciel, les saints portent Dieu, ils sont même le ciel puisqu’ils sont les trônes de Dieu ; et considérés comme annonçant sa parole, ces « cieux racontent la gloire de Dieu[3]. »
15. Reviens donc avec moi aux yeux du cœur et sache les préparer. C’est à l’homme intérieur que Dieu parle ; car il y a en nous un homme intérieur dont les oreilles, les yeux et les autres organes visibles ne sont que la demeure ou l’instrument. C’est aussi dans cet homme intérieur que le Christ habite provisoirement par la foi et qu’il fera sentir la présence de sa divinité, lorsque nous connaîtrons en quoi consistent la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur ; lorsque nous connaîtrons aussi la charité du Christ, bien supérieure à toute science, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu [4]. Ainsi donc si tu aimes à comprendre dans ce sens, applique-toi à saisir ce que l’on entend par largeur et longueur, hauteur et profondeur. Mais ne laisse point courir ton imagination à travers les espaces de l’univers, à travers l’étendue finie de ce monde immense. Saisis dans toi-même ce que je vais dire. La largeur consiste dans les bonnes œuvres ; la longueur, dans la constance et la persévérance à les faire ; la hauteur est l’attente des récompenses célestes, c’est dans ce sens qu’on t’invite à élever ton cœur. Fais donc le bien et persévère à le faire dans l’espoir des dons de Dieu. Regarde comme rien les biens de la terre ; autrement, lorsqu’elle sera ébranlée sous les coups de l’éternelle Sagesse, tu serais exposé à dire qu’en vain tu as servi Dieu, fait le bien et persévère dans la pratique des bonnes œuvres. Il y a donc en toi largeur, quand tu les pratiques, longueur, si tu y persévères ; mais tu manques de hauteur en convoitant les récompenses terrestres. Et la profondeur ? C’est la grâce de Dieu considérée dans le secret de sa volonté sainte. « Qui a connu la pensée du Seigneur ? qui lui a servi de conseiller[5] ? – Vos jugements sont comme un profond abîme[6]. »
16. La vraie vie consiste donc à faire le bien et à y persévérer, à attendre les biens du ciel, à recevoir la grâce que Dieu donne secrètement, non pas à l’aventure mais avec sagesse, et à ne pas critiquer la manière différente dont il traite les hommes ; car en lui il n’y a point d’injustice[7]. Veux-tu rapprocher ce genre de vie de la croix de ton Seigneur ? Il dépendait de lui de mourir, ou de ne pas mourir, et ce n’est pas sans raison qu’il a choisi ce genre de mort. S’il pouvait mourir ou se préserver de la mort, ne pouvait-il pas aussi mourir d’une manière ou de l’autre ? Non, ce n’est pas sans motif qu’il a préféré expirer sur la croix pour t’y crucifier à ce monde. Sur la croix en effet la largeur est le bois transversal où sont attachées les mains ; ce qui représente les bonnes œuvres. La longueur est la partie qui part du bois transversal et s’étend jusques à terre. Là est appliqué et se tient comme debout le corps du crucifié ; attitude qui désigne la persévérance. La hauteur est la partie qui s’élève au-dessus des bras de la croix, et qui figure l’attente des biens célestes. Et la profondeur ? N’est-

  1. Ps. 65, 4
  2. Col. 3, 1, 2
  3. Ps. 18, 2
  4. Eph. 3, 17-19
  5. Rom. 11, 34
  6. Ps. 35, 7
  7. 2 Chr. 19, 7 ; Rom. 9, 14