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vient cette différence ? Ne vient-elle pas de ce que les paroles étant les mêmes les dispositions du cœur Font loin de se ressembler ? Que notre foi diffère donc de la leur, ne nous contentons pas de croire. Leur foi ne saurait purifier le cœur ; et « c’est par la foi, est-il dit, que Dieu a purifié leurs cœurs. » Or quelle est cette foi, sinon celle que définit l’Apôtre Paul quand il dit : « La foi qui agit par l’amour [1] ? » Cette foi distingue des démons, elle distingue des hommes perclus de crimes et de mœurs. « La foi. » Quelle foi ? « La foi qui agit par l’amour. » Elle espère donc ce que, Dieu promet. Rien de plus exact, rien de mieux que celle définition. Aussi y voit-on trois choses essentielles. En effet, quand on a « la foi qui agit par l’amour », on espère nécessairement aux promesses divines et la foi est accompagnée par l’espérance. Comment nous passer de l’espérance. Comment nous passer de l’espérance tant que nous croyons ce que nous ne voyons point encore ? Sans voir et sans espérer, ne viendrions-nous pas à défaillir ? Nous nous affligeons de ne pas voir, mais nous nous consolons dans l’espérance de voir un jour. Ainsi nous avons l’espérance et cette espérance accompagne la foi. Nous avons aussi la charité ; c’est elle gui nous porte à désirer, à faire effort pour atteindre à quoi nous aspirons, à avoir faim et soif. Ainsi ajoutons cette vertu aux deux autres et nous avons la foi, l’espérance et la charité. Comment d’ailleurs n’aurions-nous pas la charité avec la foi telle que la définit l’Apôtre, puisqu’elle n’est autre chose que l’amour dont il parle quand il dit : « La foi qui agit par l’amour ? » Supprime la foi, tu ne crois plus rien ; supprime la charité, tu n’agis plus. Car à la foi il appartient de croire, et à la charité, d’agir. Crois sans aimer, tu ne te portes à aucune bonne œuvre, et si tu t’y portes, c’est en esclave et non en fils, c’est par crainte de la peine et non par amour de la justice. La foi qui purifie le cœur est donc bien celle qui agit par la charité.
12. Alors cette foi, que fait-elle ? Que fait-elle avec de si imposants témoignages de l’Écriture, avec de si nombreux enseignements, des exhortations si variées et si puissantes ? Elle nous met en état de voir, maintenant à travers un miroir, en énigme, et plus tard face à face. Cette fois encore ne songe pas à ta face extérieure, mais à la face de ton cœur. Force ton cœur à s’appliquer aux choses divines, contrains-le, presse-le. Rejette toute image corporelle. Tu ne saurais dire en la voyant : Dieu est cela, dis au moins : Il n’est pas cela. Quand pourras-tu dire de Dieu : C’est cela ? Pas même quand tu le verras, car Celui que tu verras est ineffable. L’Apôtre publie qu’il a été ravi au troisième ciel et qu’il y a entendu des paroles ineffables. Si des paroles sont ineffables, que penser de Celui de qui elles viennent ? Tu penses donc à Dieu, et à ton esprit se présente sous forme humaine, une merveilleuse et immense étende. La voilà devant ta pensée ; c’est quelque chose de grand, de vaste, une immense étendue enfin. Mais, ou bien elle est limitée, et limitée elle n’est point Dieu ; ou bien elle n’est pas limitée, et alors où en est la face ? Tu te représentes cette stature immense, mais pour lui donner des membres il faut lui assigner des bornes ; comment sans cela distinguer ces membres ? Que fais-tu donc, pensée folle et charnelle ? Tu construis une masse énorme, tu lui donnes d’autant plus d’étendue que tu crois par là honorer Dieu davantage. Mais tout autre ne peut-il y ajouter une coudée et la rendre plus grande encore ?
13. J’ai lu néanmoins, dis-tu. – Qu’as-tu lu ? Tu n’y as rien compris. Dis cependant, qu’as-tu lu ? Ne repoussons pas cet enfant qui joue avec les imaginations de son cœur. Qu’as-tu donc lu ? – « Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds [2]. » C’est vrai ; moi aussi j’ai lu cela. T’estimes-tu plus que moi parce qu’en lisant tu as cru ? Mais je crois aussi ce que tu viens de rappeler. Croyons donc ensemble. Et puis ? Cherchons ensemble. Retiens bien ce que tu as lu et ce que tu crois. « Le ciel est mon trône, c’est-à-dire mon siège, car tel est le sens de ce mot dérivé du grec ; « et la terre, l’escabeau de mes pieds. » Or n’as-tu pas lu aussi : « Qui a mesuré le ciel avec la paume de sa main[3] ? » Tu l’as lu sans doute et tu confesses également que tu le crois. Ainsi nous avons lu tous deux et tous deux nous croyons ces passages. Réfléchis maintenant et enseigne-moi ; sois mon maître, je me fais ton élève. Enseigne-moi, je t’en prie. Est-il un homme qui siège sur la paume de sa main ?
14. Tu viens de donner à Dieu des traits et dm, membres copiés sur le corps humain, et, peut-être l’imaginais-tu que c’est notre corps qui est fait à l’image de Dieu. Provisoirement j’accepte ton idée ; mais pour l’examiner, pour la discuter,

  1. Gal. 5, 6
  2. Is. 66, 6
  3. Id. 40, 12