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pour nous accorder l’adoption des enfants [1]. – « Nous gémissons en nous-mêmes, dit-il ailleurs, attendant l’adoption, la rédemption de notre corps[2]. » – Il disait aussi des Juifs : « Je désirais d’être moi-même anathème à l’égard du Christ, pour mes frères, mes proches selon la chair, c’est-à-dire les Israélites, auxquels appartiennent l’adoption », remarquez ce mot, « la gloire, l’alliance et la législation, qui ont pour pères les patriarches et de qui est sorti selon la chair le Christ même, Dieu au-dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles[3]. » N’est-ce pas indiquer que le mot ou l’acte même d’adoption étaient chez les Juifs aussi anciens que l’alliance et la législation qu’il rappelle en même temps ?
29. Ajoutez qu’il y avait parmi les Juifs une manière spéciale de donner des fils à qui n’en avait pas obtenu de la nature. Quand quelqu’un était mort sans enfants, son plus proche parent épousait sa femme pour susciter des enfants à son parent défunt[4]. L’enfant qui naissait alors était en même temps fils de celui qui lui donnait naissance, et fils de celui dont il devenait l’héritier. Pourquoi ai-je rappelé tout ceci ? C’est qu’en regardant comme impossible qu’un homme puisse avoir deux pères, on pourrait faussement et sacrilègement accuser de mensonge les Évangélistes qui rapportent ta double généalogie du Seigneur. Mais les expressions mêmes qu’ils emploient nous donnent à réfléchir. Matthieu semble faire connaître le père naturel de Joseph, et il compte les générations en disant : Un tel a engendré un tel, afin de pouvoir terminer par ces mots : « Jacob engendra Joseph. » Le terme d’engendré ne convient proprement ni au fils adoptif, ni au fils suscité à un mort pour devenir son successeur. Aussi saint Luc ne dit pas : Héli, engendra Joseph, ni : Joseph, qu’engendra Héli, mais : « Joseph qui fut le fils d’Héli[5] », soit par l’adoption, soit qu’il ait été engendré par le proche parent du défunt dont il devenait l’héritier.
30. Nous ne devons plus maintenant nous étonner que Joseph et non Marie figure dans la généalogie ; nous avons traité assez longuement ce sujet. Si Marie est devenue mère sans aucun acte de convoitise, Joseph est devenu père sans union charnelle. Il peut donc servir de terme ou de point de, départ aux générations soit ascendantes soit descendantes ; son inviolable pureté ne doit point le faire retrancher du nombre des ancêtres du Sauveur ; elle doit au contraire affermir en nous l’idée de sa paternité. Sainte Marie elle-même nous condamnerait s’il n’en était ainsi. Elle n’a point voulu se nommer avant son époux, elle a dit : « Votre père et moi nous vous cherchions dans l’affliction[6]. » Méchants murmurateurs, ne faites point ce que n’a pas fait cette chaste épouse. Laissons Joseph dans les généalogies ; s’il est chaste mari, il est aussi père chaste. Suivant le droit naturel et le droit divin, faisons passer l’homme avant la femme. Si nous venions à l’éloigner pour donner, sa place à Marie, il nous dirait et nous dirait avec raison : Pourquoi m’écarter ainsi ? Pourquoi ne pas me laisser en tête des deux généalogies ? Lui répondrons-nous C’est que tu n’as pas engendré charnellement ? Et mon épouse, répliquerait-il, a-t-elle enfanté d’une manière charnelle ? Ce que l’Esprit-Saint a opéré, il l’a opéré pour chacun de nous. — « C’était un homme juste », est-il écrit. Il était juste époux, Marie de son côté était une épouse juste, et l’Esprit-Saint prenant ses délices dans la justice de l’un et de l’autre leur donna à tous deux un fils. Mais en donnant à l’épouse d’enfanter, il voulut qu’elle enfantât pour son époux. Aussi l’ange invite-t-il l’un comme l’autre à donner le nom à l’enfant, ce qui était leur reconnaître à tous deux l’autorité dont jouissent les parents. Zacharie était encore muet lorsque naquit son fils, et son épouse indiquait le nom que devait porter celui-ci. Ceux qui étaient là demandaient au père comment il voulait le nommer, et prenant des tablettes il écrivit le nom qu’avait déjà donné sa mère[7]. Il est dit à Marie : « Vous allez concevoir un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus[8] ; » il est dit de même à Joseph : « Joseph, fils de David ne craignez point de prendre avec vous Marie votre épouse ; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Or elle enfantera un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés[9]. » Il est dit encore : « Et elle lui enfanta un fils[10] ; » ce qui prouve de nouveau que la charité et non la chair l’avait rendu véritablement père ; c’est donc ainsi qu’il est père, et il l’est réellement. Ainsi les Évangélistes ont éminemment raison de compter par lui, soit les générations descendantes, comme saint Matthieu qui va d’Abraham au Christ, soit les générations ascendantes, comme saint Luc qui s’élève ; par Abraham, du Christ jusqu’à Dieu.

  1. Gal. 4, 4, 5
  2. Rom. 8, 23
  3. Id. 9,3-5
  4. Deut. 25, 5-6 ; Mt. 22, 24
  5. Lc. 3, 23 ; Mt. 1,16
  6. Lc. 2,48
  7. Id. 1, 60-63
  8. Ibi. 1, 31
  9. Mt. 1, 20-21
  10. Lc. 2, 7