Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/250

Cette page n’a pas encore été corrigée

de droit que n’en a celui qui l’a mis au monde. Vous comprendrez par là qu’à Joseph et à Joseph surtout était dû le titre de père. Lorsqu’en dehors du mariage des hommes engendrent des enfants, on nomme ceux-ci fils naturels et on leur préfère les enfants légitimes. Au point de vue de l’œuvre charnelle les uns et les autres sont égaux ; pourquoi préfère-t-on les enfants légitimes aux enfants naturels, sinon parce qu’il y a plus de chasteté dans l’amour conjugal qui les donne ? On ne considère point alors l’union des sexes, égale dans l’un et l’autre cas. En quoi donc l’emporte l’épouse ? N’est-ce point par ses sentiments de fidélité conjugale, par un amour et plus pur et plus chaste ; et s’il était possible à une épouse de donner à son mari des enfants sans qu’il y eût union charnelle, celui-ci ne devrait-il pas les recevoir avec une joie d’autant plus vive, que cette épouse est plus chaste et qu’il la chérit plus tendrement ?
27. De là concluez aussi qu’il est possible au même homme d’avoir non-seulement deux fils, mais encore deux pères : Il suffit d’avoir prononcé le terme d’adoption pour que vous saisissiez cette possibilité. On dit : Un homme peut bien avoir deux fils, il ne saurait avoir deux pères. En vérité e suffit-il pas, pour, avoir deux pères, qu’on soit engendré par l’un et adopté par l’autre ? Et si tout homme peut avoir deux pères, Joseph ne l’a-t-il pu ? N’a-t-il pu être engendré par l’un, être adopté par l’autre ? Mais s’il l’a pu, pourquoi chercher un grief contre nous dans les généalogies différentes de saint Matthieu et de saint Luc ? Il est bien vrai qu’elles sont différentes, puisque selon saint Matthieu, Joseph était fils de Jacob, et d’Héli selon saint Luc. On pourrait croire sans doute que le père de Joseph portait à la fois ces deux noms. Mais les aïeuls, les bisaïeuls et les autres ascendants étant différents et plus ou moins nombreux dans chacune des deux généalogies, c’est une preuve manifeste que Joseph avait deux pères. Cette accusation mise de côté, la raison montrant avec évidence que Joseph a pu avoir deux pères, un père selon la nature et un père adoptif, est-il étonnant que les aïeuls, bisaïeuls et les autres ascendants diffèrent ensuite de part et d’autre ?
28. Ne croyez pas que ce droit d’adoption soit inconnu aux Écritures ; ne vous imaginez point qu’on en ait pris l’idée dans les lois humaines et qu’il soit absolument étranger à l’autorité des divins oracles. Un fait antique dont il est souvent question dans les livres sacrés, c’est que la bienveillance donne des fils aussi bien que la nature. On y voit des femmes qui n’avaient pas eu d’enfants adopter comme tels ceux que leurs maris avaient obtenus de leurs servantes ; elles commandaient même à leurs époux d’en obtenir par ce moyen : telles furent Sara [1], Rachel et Lia[2]. Ces époux ne commettaient point alors d’adultère, car ils obéissaient à leurs femmes en ce qui concerne le devoir conjugal, et l’Apôtre a dit « La femme n’a pas puissance sur son corps, « c’est le mari ; de même le mari n’a pas puissance sur son corps, c’est la femme.[3] » Fils d’une mère israélite et exposé par elle, Moïse aussi fut adopté par la fille de Pharaon[4]. On n’observait point les mêmes formes légales qu’aujourd’hui ; la volonté servait de loi. « Les gentils qui n’ont pas la foi font naturellement ce qui est selon la loi », dit ailleurs l’Apôtre[5]. Or si les femmes pouvaient avoir des enfants sans qu’elles leur eussent donné le jour, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas obtenir aussi des enfants sans les avoir engendrés mais en les adoptant ? Ne lisons-nous pas que le patriarche Jacob, quoique père d’une si grande famille, voulut avoir pour fils les fils de son fils Joseph, et qu’il lui dit : « Ces deux enfants seront mes fils et ils partageront la terre avec leurs frères ; garde pour toi les autres que tu pourras engendrer[6]. », Dira-t-on que le terme même d’adoption ne se rencontre point dans les saintes Écritures ? Mais, qu’importe le nom, si la chose y est, si l’on voit des femmes avoir des enfants qu’elles n’ont pas mis au jour, et des hommes compter comme leurs fils ceux qu’ils n’ont pas engendrés ? Je ne m’oppose point à ce qu’on ne donne pas à Joseph le titre de fils adoptif, pourvu qu’on reconnaisse en sa faveur la possibilité d’avoir eu pour père un homme qui ne lui avait pas donné le jour, L’Apôtre Paul néanmoins emploie souvent et en lui donnant un sens non moins profond que sacré, ce terme d’adoption. L’Écriture atteste que Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Fils unique de Dieu ; cet Apôtre dit cependant que c’est par l’adoption de la grâce divine qu’il a daigné faire de nous ses – frères et ses cohéritiers. « Lorsqu’est venue la plénitude du temps, Dieu, dit-il, a envoyé son Fils, formé d’une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi,

  1. Gen. 16, 1-5
  2. Id. 30, 1-9
  3. 1 Cor. 7, 4
  4. Ex. 2
  5. Rom. 2, 14
  6. Gen. 48, 5-6