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plein de douceur. Je vous avoue que mon cœur y trouve d’ineffables délices, et j’aime à croire que vous direz comme moi lorsque je vous aurai exposé et fait goûter ma pensée. Écoutez donc. De Jéchonias qui ouvre la troisième série, jusqu’à Jésus-Christ Notre-Seigneur, il y a quatorze générations ; ainsi Jéchonias est compté deux fois, une fois pour fermer la deuxième série et une autre fois pour ouvrir la troisième. Pourquoi, demandera-t-on, Jéchonias est-il compté deux fois ? Rien n’arrivait chez le peuple d’Israël qui ne fût un mystère de l’avenir. La raison ne défend pas de compter deux fois Jéchonias. Voici la limite qui sépare deux propriétés, une pierre ou une cloison quelconque : chaque propriétaire ne part-il pas de cette borne quand il s’agit de mesurer ? Pourquoi néanmoins ne comptons-nous pas de la même manière les deux précédentes séries ; la première, qui comprend quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, et la deuxième qui en comprend quatorze aussi, non pas depuis David inclusivement, mais depuis Salomon ? Il en faut donner le motif : c’est ici le profond mystère. Que votre sainteté nous prête toute son attention. La transmigration de Babylone eut lieu, lorsque le roi Jéchonias succéda à son père qui venait de mourir. La couronne fut enlevée à ce prince et un autre prit sa place ; ce fut néanmoins de son vivant que le peuple de Dieu émigra parmi les gentils. On ne cite de Jéchonias aucune faute qui ait pu le faire détrôner, on parle plutôt des crimes de ses successeurs. Arrive donc la captivité, on va à Babylone. Les impies seuls n’en prennent pas la route, des saints mêmes vont avec eux en captivité et l’on y voit le prophète Ézéchiel, l’on y voit Daniel et ces trois enfants qu’illustrèrent les flammes de la fournaise. Tous suivaient les conseils du prophète Jérémie.
14. N’oubliez pas que Jéchonias fut réprouvé innocemment, qu’il cessa de régner et passa parmi les gentils à l’époque où eut lieu la transmigration de Babylone : voyez ici une image anticipée de ce qui devait arriver à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Les Juifs ne voulurent plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ régnât sur eux, et pourtant ils n’avaient trouvé en lui aucune faute. Il fut rejeté dans sa personne, rejeté dans la personne de ses serviteurs, qui passèrent alors à Babylone, c’est-à-dire parmi les gentils. Le prophète Jérémie commandait de la part de Dieu d’aller à Babylone, et les prophètes qui s’y opposaient étaient par lui traités de faux-prophètes. Vous qui lisez les Écritures, vous savez que nous n’inventons pas ; ceux qui ne les lisent pas doivent nous croire. Jérémie donc faisait au nom du Seigneur des menaces à qui refusait d’aller à Babylone, et il promettait à ceux qui y allaient, le repos et l’espèce de bonheur que procurent la plantation des vignes, la culture des arbres et l’abondance des récoltes [1]. Et comment en réalité et non plus en figure, le peuple d’Israël passât-il à Babylone ? Mais d’où étaient les Apôtres ? N’étaient-ils pas des Juifs ? D’où était Paul lui-même ? « Je suis Israélite, dit-il, de la race « d’Abraham, de la tribu de Benjamin[2]. » Beaucoup de Juifs crurent donc en Jésus-Christ. Parmi eux furent choisis les Apôtres ; de leur nombre se trouvaient ces cinq cents frères et plus, qui méritèrent de voir le Seigneur après sa résurrection[3] ; parmi eux comptaient encore ces cent vingt disciples que le Saint-Esprit trouva assemblés dans une même demeure lorsqu’il descendit du ciel[4]. Et lorsque les Juifs repoussèrent ensuite la prédication de la vérité, que leur dit l’Apôtre dans les Actes des Apôtres ? « Nous étions envoyés vers vous ; mais puisque vous rejetez la parole de Dieu, nous nous tournons à l’instant vers les gentils[5]. » Ainsi se fit spirituellement, à l’époque de l’incarnation du Seigneur, la transmigration de Babylone figurée au temps de Jérémie. Mais que disait des Babyloniens Jérémie aux émigrants ? « Leur paix fera votre paix[6]. » Et lorsque sous la conduite du Christ et des Apôtres Israël allait aussi à Babylone, en d’autres termes, lorsque l’Évangile passait aux gentils, que dit l’Apôtre comme pour interpréter Jérémie ? « Je demande avant tout qu’on fasse des prières, des demandes, des supplications, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, avec toute piété et chasteté[7]. » Les princes n’étaient pas encore chrétiens et il priait pour eux. Les prières d’Israël furent exaucées à Babylone. Les prières de l’Église ont été également exaucées ; et les princes sont devenus chrétiens, et vous voyez l’accomplissement de cette prophétie figurative : « Leur paix fera votre paix. » Ils ont

  1. Jer. 27
  2. Rom. 11, 1
  3. 1 Cor. 10, 6
  4. Act. 1, 15 ; 2, 14
  5. Act. 13, 46
  6. Jer. 29, 7
  7. 1 Tim. 2, 1-2