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au plaisir inspiré par leur passion insensée. Aussi sont-ils défaits au moment même oit ils courent au théâtre. Combien n’y en a-t-il pas, mes frères, qui aujourd’hui ont hésité de savoir s’ils iraient là ou s’ils viendraient ici ? Ceux d’entre eux qui dans ce moment de doute ont regardé le Christ et sont accourus à l’Église, ont triomphé, non pas d’un homme quelconque mais du diable même, le plus méchant ennemi du genre humain. Ceux au contraire qui ont alors préféré courir au théâtre, ont été vaincus au lieu d’être vainqueurs avec les premiers. Or si ceux-ci ont vaincu, c’est en Celui quia dit : « Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le monde [1]. » Il est en effet comme le général qui s’est laissé attaquer pour former le soldat au combat.
3. Or c’est pour nous donner cette leçon que Jésus-Christ Notre-Seigneur s’est fait homme en naissant d’une femme. – L’eût-il moins donnée, s’il ne fût né de la vierge Marie, dira-t-on ? Il voulait être homme, il pouvait l’être sans avoir une mère ; le premier homme formé par lui n’en avait pas. – Voici ma réponse. Pourquoi, demandes-tu, a-t-il voulu naître d’une femme ? Et pourquoi, répliquerai-je, aurait-il refusé d’avoir une femme pour mère ? Supposé que je ne puisse expliquer les motifs de son choix ; dis-moi d’abord ce qui lui défendait de naître d’une femme. N’a-t-on pas observé déjà qu’en fuyant un sein maternel il aurait comme reconnu qu’il pouvait en être souillé ? Plus il était par sa nature au-dessus de toute souillure possible, moins il devait craindre de se souiller dans le sein de sa mère ; de plus il a voulu en naissant d’elle, nous révéler quelques traits d’un mystère important. Il est vrai, mes frères, et nous l’avouons, si le Seigneur avait voulu se faire homme sans naître d’une femme c’était chose facile à sa Majesté suprême. S’il a pu naître d’une femme sans le concours d’aucun homme, ne pouvait-il naître aussi sans l’intermédiaire d’aucune femme ? Mais il nous a appris qu’aucun sexe, car il y en a deux dans le genre humain, ne doit désespérer. Si étant du sexe masculin, comme il devait en être, il ne s’était pas choisi une mère, les femmes tomberaient dans le désespoir au souvenir de leur premier péché, car c’est la femme qui a séduit le premier homme ; elles croiraient qu’elles n’ont absolument aucun motif d’espérer au Christ. Le Christ a donc préféré pour lui le premier sexe, mais en naissant d’une femme il console les femmes et il semble leur dire : Pour vous apprendre qu’aucune créature de Dieu n’est mauvaise par nature et qu’elle n’a été pervertie que par un plaisir coupable, lorsque j’ai créé l’homme au commencement du monde je l’ai créé mâle et femelle. Je ne condamne point ce que j’ai fait. Je suis homme, mais né d’une femme. Non, je ne condamne point la créature que j’ai faite, je condamne le péché que je n’ai pas fait. Que chaque sexe reconnaisse comment je l’honore ; mais aussi que chacun d’eux confesse son iniquité et espère le salut. La femme pour tromper l’homme lui a présenté une coupe empoisonnée ; elle lui offrira pour le relever la coupe du salut, et la femme en devenant mère du Christ réparera la faute qu’elle a faite en séduisant l’homme. Aussi ce sont des femmes qui les premières apprirent aux Apôtres la résurrection du Seigneur. Une femme avait annoncé la mort à son époux dans le paradis ; des femmes aussi ont annoncé le salut aux hommes dans l’Église. Les Apôtres devaient annoncer aux nations la résurrection du Christ ; ce sont des femmes qui l’ont annoncée aux Apôtres. Personne ne doit donc reprocher au Sauveur d’être né d’une femme : une telle nuisance ne pouvait le souiller, et il convenait que le Créateur honorât ce sexe.
4. Comment nous amener à croire, poursuivent-ils, que le Christ est né d’une femme ? Je répondrai : Par l’Évangile, cet Évangile quia été prêché et qui l’est encore à tout l’univers. Mais ces aveugles essaient de révoquer en doute ce qui est admis par toute la terre ; ils veulent communiquer leur aveuglement, et en cherchant à ébranler la certitude de ce qu’il faut croire, ils ne voient point ce qu’il faut voir.-Ne nous impose pas, s’écrient-ils, l’autorité de l’univers ; ouvrons les Écritures. Ne fais pas le populaire ; c’est la multitude séduite qui est pour toi. – La multitude séduite est avec moi ? Mais cette multitude n’était-elle pas d’abord le petit nombre ? Comment s’est formée cette multitude dont les accroissements ont été annoncés si longtemps d’avance ? On n’a pas vu ces accroissements et on les a prédits. Eh quoi ? Abraham n’était pas un petit nombre, il était seul. Remarquez-le, mes frères, Abraham était seul alors, seul dans tout le monde, seul dans tout l’univers, seul parmi tous les peuples ; néanmoins il lui fut dit : « Dans un rejeton de ta race toutes les nations seront bénies[2]. » Et ce que seul alors il croyait de son unique

  1. Jn. 16, 33
  2. Gen. 22, 18