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Notre-Seigneur Jésus-Christ porte les péchés d’autrui. Et après avoir obtenu la rémission de ses propres péchés on refuse de supporter les péchés étrangers ? Ainsi Jacob passe au Christ après s’être chargé des péchés d’autrui, ou s’être couvert des peaux de chevreaux. Mais qu’est-ce que l’artifice ?
17. Ésaü vient plus tard, apportant à son père ce que son père a demandé. Il trouve que son frère est béni à sa place et il ne reçoit pas une autre bénédiction. Ces deux fils en effet représentent deux peuples ; et l’unité de bénédiction désigne l’unité de l’Église. Or ces deux peuples sont aussi figurés dans Jacob ; mais ils le sont d’une autre manière. Voici comment Jésus-Christ Notre-Seigneur était venu pour les Juifs et les Gentils ; il fut repoussé par les Juifs que figurait Ésaü. Néanmoins il choisit parmi eux des hommes qui avaient l’esprit de Jacob, qui commençaient à désirer, à comprendre dans un sens spirituel les divines promesses. Ils ne prenaient plus dans un sens charnel cette terre après laquelle ils soupiraient ; ils voyaient en elle la sainte cité des âmes, où personne ne naît corporellement parce que personne n’y meurt ni pour le corps ni pour l’âme. Ils appartinrent à Jacob sitôt qu’ils commencèrent à s’enflammer de ces désirs, ils crurent au Christ et dans la Judée même se forma le troupeau du Seigneur. Mais que disait le Seigneur de ce troupeau naissant ? « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie ; je vais les amener et il n’y aura qu’un bercail et qu’un pasteur [1]. » Quelles sont ces autres brebis de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? N’est-ce pas les Gentils ? Ces brebis de la gentilité se sont réunies aux brebis de la Judée. De la Judée en effet étaient les Apôtres ; de la Judée les cinq cents frères qui virent le Sauveur après sa résurrection[2] ; de la Judée ce même Nathanaël à qui le Seigneur rendit ce témoignage, qu’il était sans artifice. De là aussi les cent-vingt qui étaient dans le cénacle lorsque le Saint-Esprit vint les pénétrer, comme le Sauveur l’avait promis à ses disciples. De là ces milliers d’hommes dont il est parlé aux actes des Apôtres[3]; sortis des rangs de ceux-là même qui avaient crucifié le Christ, ils furent baptisés au nom du Christ.
18. De la Judée venaient donc des brebis, et des brebis en grand nombre ; mais elles n’étaient point les seules : le Christ en avait d’autres parmi les Gentils. Ces deux peuples, venus de régions diverses, sont désignés aussi par les deux murs. L’Église des Juifs sort de la circoncision, celle des Gentils n’en vient pas ; les uns et les autres, accourus de points opposés, se réunissent dans une même demeure, dont le Seigneur est appelé la pierre angulaire. Ne dit-il pas lui-même : « La pierre rejetée par les ouvriers est devenue la pierre angulaire [4] ? » et l’Apôtre : « Le Christ Jésus étant lui-même pierre principale de l’angle[5] ? » Mais un angle suppose la jonction de deux murs ; et deux murs ne peuvent former un angle s’ils ne sont en sens divers ; ils ne feraient point un angle s’ils avaient la même direction. Les deux peuples sont donc les deux chevreaux, les deux bergeries, les deux murs ; ils sont aussi les deux aveugles qui étaient assis sur la route[6], les deux barques que l’on chargea de poissons[7] ; et l’Écriture nous parle souvent de ces deux peuples. Mais en Jacob ils se réunissent pour n’en former qu’un seul.
19. Pourquoi des chevreaux, dira quelqu’un ? Vous savez que les chevreaux sont les pécheurs ; puisque les boucs seront à la gauche et les agneaux à la droite[8]. Cependant il n’y aura à la gauche que les boucs qui seront restés tels. Si d’abord ils n’eussent été boucs, le Seigneur ne dirait point : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs. » À l’époque où il vivait avec les pécheurs et mangeait à la table des publicains, les Juifs se croyaient des agneaux ou des justes, mais l’orgueil en faisait plutôt des boues : ils reprochèrent donc au Sauveur cette condescendance, ils dirent même à ses disciples : « Pourquoi votre Maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » Voyez comment le Seigneur se défendit : « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs[9]. » Il appelle donc les boucs, mais non pour qu’ils restent boucs. Jacob tua ses chevreaux pour en préparer un festin à son père. Voici ce que cela signifie au sens spirituel, et on devait considérer ce sens dans cette bénédiction qui semblait donnée au fils aîné : Ces chevreaux ont été tués et mangés pour faire partie d’un même corps : ainsi les péchés sont

  1. Jn. 10, 16
  2. 2 Cor. 15, 6
  3. Act. I-II-IV
  4. Ps. 117, 22
  5. Eph. 2, 20
  6. Mt. 20, 30
  7. Lc. 5, 7
  8. Mt. 25, 33
  9. Mt. 9, 11-13