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l’idée que l’Écriture donne de toi pendant ta vie et garde-toi de vouloir arracher l’ivraie avant l’époque fixée, rentre plutôt en toi-même quand il en est temps encore. Il est donc, dit dans un autre livre des divines Écritures : « Le fils méchant se prétend juste [1]. » Voilà ton audace et ton orgueil. Ta force est mal employée, la faiblesse ne serait-elle pas préférable ? Ta force est mal employée, elle n’est pas la santé. Ta force est mal employée, c’est le frénétique qui se jette sur son médecin même. Ah ! combien il vaudrait mieux, combien il serait pour toi plus avantageux d’être faible, afin d’être fortifié par Celui qui connaît ton faible ? Vois l’Apôtre Paul, ce vase d’élection ; dans la crainte qu’il né s’enorgueillît de ses révélations, ce que nous n’oserions dire s’il ne disait lui-même : « De peur que la grandeur des révélations ne m’élève, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter », dans la crainte donc qu’il ne s’enflât il était souffleté ; c’est pourquoi, continue-t-il, j’ai demandé « trois fois au Seigneur qu’il m’en délivrât, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse[2]. » Combien donc la faiblesse qui se perfectionne vaut mieux que la force qui repousse les brebis et les heurte pour les éloigner ! Ainsi tu es un fils mauvais et tu te dis juste !« Le fils mauvais se dit juste, mais il ne justifie pas sa séparation. » Remarquez cette pensée, mes frères, elle est exprimée en peu de mots, mais elle est d’un grand sens. « Il se dit juste », pour sortir lui-même et faire sortir autrui. « Il se dit juste, mais il est méchant ; » aussi « ne justifie-t-il point sa séparation. » Il ne la justifie point, il ne saurait l’excuser. Pourquoi t’es-tu séparé ? Pourquoi es-tu – sorti ? Pourquoi ton cœur tremble-t-il quand tu lis dans les livres sacrés : « Ils sont sortis d’avec nous, mais ils n’étaient pas de nous[3] ? » Et toutefois cette force trompeuse qui pousse, qui heurte, qui éloigne les brebis de Dieu, permet-elle à la crainte d’aller jusques à ton cœur ? Celui qui disait. « Ils sont sortis d’avec nous, mais ils n’étaient pas de nous », était sans aucun doute dans l’Église, et l’Église est répandue dans tout l’univers. Que fais-tu dehors ? Ce n’est pas moi qui fais connaître cette diffusion de l’Église dans tout l’univers ; elle a été annoncée avant moi par les prophètes, par les Apôtres, par le Seigneur lui-même. Quand on lisait le psaume, il n’y a qu’un instant, nous avons entendu ces mots : « Le Seigneur ne rejette pas son peuple ; » et comme si l’on eût demandé : Quel peuple ? « parce que dans sa main, poursuit le prophète, sont les extrémités de la terre [4]. » Il ne repousse pas son peuple, et toi tu le pousses, tu le heurtes, tu le chasses ; tu parles de traditeurs ; mais sans le prouver. C’est ici l’orgueil de l’ennemi et non la douceur du pasteur. Le peuple de Dieu occupe donc jusqu’aux extrémités de la terre ; le peuple de Dieu gémit et pleure devant ce Dieu qui l’a créé ; le psaume nous le montré disant au Seigneur en pleurant devant lui : « Des extrémités de la terre j’ai crié vers vous quand mon cœur était dans l’angoisse. » Vois comme il s’humilie dans sa détresse. Et qu’a-t-il obtenu ? « Vous m’avez élevé sur la pierre[5] ; » sur la pierre, c’est-à-dire sur le Christ ; vous ne m’avez point précipité du haut de la montagne de Donat. Va maintenant, secoue tes cornes, bats-toi les flancs, élargis tes épaules, pousse les brebis et dis : Je suis juste. L’Écriture te répondra : Non, tu es mauvais : « le fils mauvais se dit juste. » Si tu es juste, pourquoi sors-tu ? pourquoi chasses-tu ? Que fais-tu dehors avec ceux que tu entraînes ? Tu prétends être comme une brebis qui fuit les boucs. Ah ! il vaudrait mieux que le Pasteur te séparât d’eux pour te placer à sa droite, que d’être confondu au milieu d’eux à la gauche. Ils étaient des boucs et tu es une brebis ; tu devrais donc paître avec eux. En quoi t’avaient nui les pâturages ou les fontaines ? Que t’avait fait le Pasteur lui-même ? Car c’est lui qui a mêlé provisoirement les brebis et les boucs ; et quoi qu’il puisse les séparer quand il lui plaira, il a voulu toutefois réserver jusqu’à la fin cette séparation, que sans se tromper il pourrait faire dès aujourd’hui. Il la diffère donc jusqu’à la fin ; tu la fais, toi, auparavant. Tu n’attends pas la fin, et tu ne sais quand arrivera la tienne. D’où vient ce désordre, sinon de ce qu’en accusant tes frères d’être des boucs tu les as accusés injustement ? Car ton accusation fût-elle fondée, tu ne les aurais pas quittés. Ta conduite les justifie. S’ils étaient de l’ivraie, pourquoi avoir voulu la séparer avant le temps ? Puisque tu, te crois le froment, ne devrais-tu pas demeurer avec elle, être enraciné dans le même champ et arrosé de la même pluie ? Pourquoi donc es-tu sorti ? Trouves-tu

  1. Prov. 24. sel. LXX
  2. 2 Cor. 12, 7-9
  3. 1 Jn. 2, 19
  4. Ps. 94, 4
  5. Ps. 60, 3