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lui. « Aucune chair, dit l’Apôtre, ne se doit glorifier en sa présence. » S’ensuit-il que nous resterons sans gloire ? Non, car il ajoute : « Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur[1]. » Le témoignage de notre conscience n’est en effet notre gloire qu’autant que nous nous glorifions en lui, et si cette gloire consistait à nous plaire à nous-mêmes, à nous rendre agréables à nos propres yeux, ne voyons-nous pas que se plaire ainsi à soi-même c’est plaire à un insensé ?
14. Ainsi donc, mes frères, ne nous contentons pas de bien vivre, ayons soin aussi de bien nous conduire devant les hommes ; qu’il ne nous suffise pas d’avoir bonne conscience, travaillons encore, autant que le peuvent notre faiblesse et toute l’activité de la fragilité humaine, à ne rien faire qui inspire de fâcheux soupçons à l’infirmité de notre frère ; car en paissant dans de purs herbages et en buvant une eau limpide, nous foulerions aux pieds les pâturages du Seigneur, nous réduirions ses brebis à ne manger que des aliments flétris, à ne boire qu’une eau troublée. Ne serait-ce pas notre malheur, puisqu’il a dit : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis ? »
15. « C’est pourquoi voici ce que leur dit le Seigneur Dieu : C’est moi qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. » C’est une pensée nouvelle. Il nous a été parlé de ceux qui foulent l’herbe et troublent l’eau. Voici une autre espèce de désordre et de désordre considérable. Il n’est plus dans la suite fait mention des boucs ; leur nom a été prononcé une fois seulement pour nous rappeler qu’il y en a, car Dieu les connaît. On dirait maintenant qu’il n’y a que des brebis. Dieu a donc parlé d’abord d’après ces propres idées, il parle maintenant d’après les nôtres. Il voulait faire entendre aux brebis qu’il y a des boucs dans le troupeau et, qu’à la fin ils en seront séparés ; mais aujourd’hui nous ne voyons en quelque sorte que brebis et brebis. Si Dieu seul sait qu’il y a des brebis et des boucs, c’est uniquement en vertu de la prédestination et de la prescience, car il peut seul prédestiner et connaître d’avance tous ceux qui maintenant marchent sous l’étendard du Christ et parviennent à la grâce de Dieu. Quoique tu te croies une brebis, il est donc possible que Dieu te regarde comme un bouc. Cependant écoute comme brebis ce qui t’est adressé : « C’est moi qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. »
16. « Parce que vous heurtiez de l’épaule et des cornes toutes les brebis infirmes, jusqu’à ce que vous les eussiez chassées du troupeau. » Qui ne comprendrait cela ? Qui n’en frémirait ? S’il n’y a point de brebis hors du troupeau, le prophète est menteur ; et si nous avons à déplorer qu’un grand nombre en soient éloignées, malheur à qui les a poussées de l’épaule et des cornes ! Mais qui peut le faire, sinon les brebis vigoureuses ? Et quelles sont-elles, sinon celles qui présument de leurs forces ? Quelles sont-elles, sinon celles qui se glorifient de leurs vertus ? Non, il n’y a eu pour diviser le troupeau et pour séparer les brebis, que ceux qui se prétendent justes ; ardents pour pousser, parce qu’ils ne portent pas le joug de Dieu ; hommes méchants et amis perfides, ils ne s’unissent que par opiniâtreté ; cœurs superbes, leur orgueil se dresse avec insolence. Heurte donc de l’épaule et des cornes, chasse les brebis que tu n’as point produites. Si tu agis ainsi, c’est uniquement, sans doute, parce que tu es juste, que les autres sont injustes et que c’était une indignité que les justes fussent mêlés aux pécheurs ; c’est-à-dire que c’était une indignité que le froment fût mêlé à l’ivraie, une indignité enfin que les brebis fussent confondues avec les boucs dans les mêmes pâturages, jusqu’à l’arrivée de ce suprême Pasteur qui ne peut se méprendre en les séparant. Es-tu donc l’ange chargé d’arracher l’ivraie ? La moisson fût-elle arrivée, je ne te reconnaîtrais pas pour cet ange. Mais avant la moisson je ne vois d’ange véritable ni dans toi ni dans qui que ce puisse être. Celui qui nous a dit que les anges seraient les moissonneurs, a fait connaître, aussi le temps de la moisson. Des hommes peuvent affirmer qu’ils sont des anges ; nous voyons même dans l’Écriture ce nom donné à quelques-uns ; mais je considère l’époque de la récolte. Si tu peux te présenter comme un ange, tu ne saurais hâter cette époque. En nous disant que tu l’es, tu mens assurément puisque le moment de l’être n’est pas encore venu. Aussi quand ce moment sera arrivé et que Dieu enverra ses vrais moissonneurs, je ne sais en quel état ils te trouveront, s’ils devront te vanner pour te placer au grenier, ou te lier pour te jeter au feu. Si je parle ainsi, c’est que je n’ose juger ; mais je te plains hautement, parce que je ne sais ce que tu deviendras intérieurement.
17. Apprends néanmoins d’un autre passage

  1. 1 Cor. 1, 29-31