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9. Il a nommé les boucs, il a nommé les béliers et il prononce entre eux. Que leur dit-il ? « N’était-ce pas assez pour vous de paître en de fertiles pâturages, sans fouler aux pieds ce qui en restait ? de boire une eau pure, sans troubler le reste avec vos pieds ? Ainsi mes brebis paissaient ce que vous aviez foulé aux pieds, et buvaient l’eau que vos pieds avaient troublée. » Que signifie ce langage ? Dieu a de bons pâturages et de pures fontaines, le tout dans l’Écriture. Quels sont ceux qui y boivent les eaux tranquilles, qui y paissent les bons pâturages en foulant le reste aux pieds et en troublant l’eau pour que les autres brebis n’aient plus que des herbes flétries et une, eau troublée, ce qui, vous le voyez, déplaît au Pasteur suprême, lequel dit alors et pour faire cesser ce désordre : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis ? » Il est beaucoup d’hommes qui apprennent avec calme et enseignent avec émotion, qui ont un maître plein de patience et sévissent contre leurs disciples. Qui ne sait en effet avec quelle tranquillité nous instruit l’Écriture ? Un homme l’ouvre donc, il lit les commandements de Dieu, il les lit et les comprend. C’est un homme qui boit tranquillement à une source paisible, il paît dans de verts et salubres herbages. Quelqu’un vient à lui pour apprendre quelque chose, il se fâche alors, il se trouble, il lui reproche son peu d’habileté à comprendre, et en l’impressionnant ainsi, il est cause qu’il comprend moins ce qu’il pouvait entendre paisiblement.
10. En parlant ainsi, mes frères, je ne prétends point qu’il ne faille pas quelquefois adresser des reproches à la dureté ; cette incomparable sérénité de la Vérité même ne l’a-t-elle pas fait quand elle a dit : « O insensés et lents de cœur à croire[1] ? » Mais il est nécessaire d’agir alors avec l’intention de rendre attentif, d’exciter l’activité, de dissiper peut-être les nuages qu’ont élevés dans l’esprit les soucis du siècle ; car il peut arriver qu’en s’appliquant à d’inutiles pensées on devienne incapable d’écouter un enseignement utile. Lors même d’ailleurs que l’on remarquerait en soi cette pesanteur d’intelligence, il est bon de la reprendre dans autrui pour exciter ainsi à recourir à Dieu et à obtenir de lui la délivrance de cette lenteur et la connaissance de la vérité. De deux choses l’une ou bien c’est par négligence que nous comprenons peu ce qu’on nous dit, il faut alors nous en corriger ; ou bien c’est par pesanteur d’esprit, et en nous en accusant on nous portera à implorer le secours de Dieu. 2 ne faut donc pas blâmer les docteurs qui agissent ainsi ; mais s’ils le font avec amertume, avec un esprit jaloux, ils foulent aux pieds les pâturages et troublent les fontaines ; ils voudraient profiter seuls de ce qu’ils peuvent connaître. Caractères méchants, animés d’une, infernale envie, honteusement blessés non pas au corps mais au cœur, ils lisent et ils comprennent. Les interroge-t-on C’est au-dessus de ta portée, répliquent-ils ; j’irai te confier ces secrets ? Es-tu digne de lire ou d’entendre ces choses ? – Malheureux, pourquoi troubler cette eau ? La source ne jaillit-elle pas pour vous deux ? Pourquoi fouler ces herbes qui appartiennent à tous ? Est-ce toi qui as répandu la pluie pour les faire grandir ?
11. Les mêmes paroles prêtent à une autre application qui n’est point dénuée de fondement. Il y a des hommes qui se contentent d’une bonne conduite et du témoignage favorable que leur rend leur conscience, sans se soucier beaucoup de ce qu’on peut penser d’eux. Ils ignorent donc qu’en voyant un homme de bien vivre avec une certaine liberté, se mêlant indifféremment à tous et partout, sachant qu’il n’y a point d’idoles et s’asseyant néanmoins dans un temple d’idoles, une conscience faible se porte alors non pas vers l’idée secrète qui dirige mais vers ce qu’elle soupçonne[2]. Cet égal, ce frère ne saurait pénétrer dans ta conscience que Dieu connaît. Si ta conscience est exposée aux yeux de Dieu, ta vie extérieure frappe les regards de ton frère ; et s’il conçoit de mauvais soupçons, si dans son trouble il se détermine à faire ce qu’il estime que tu fais toi-même, alors, que lui importe que tu boives une eau pure puisque par suite de ton indifférence il boit une eau troublée ?
12. Quand nous les reprenons pour une telle conduite, ces hommes nous objectent ces paroles de l’Apôtre : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ[3]. » Ici encore tu troubles l’eau et tu foules les pâturages. Comprends mieux et prends garde de troubler l’eau pour toi-même. Oui, l’Apôtre a dit : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ ; » je le saisis parfaitement, c’est une excellente maxime apostolique. Mais n’as-tu pas lu aussi dans le même Apôtre:

  1. Lc. 24, 25
  2. 1 Cor. 8, 10
  3. Gal. 1, 10