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il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs [1]. » Il viendra donc pour séparer, la moisson viendra et la séparation aura lieu. Ainsi nous ne sommes pas au temps de la séparation, mais de la souffrance. Ce que nous ne disons pas, mes frères, pour endormir le devoir de la correction. Ah ! plutôt, afin de n’arriver point à ce jugement sans avoir pris de précautions, afin de ne pas nous trouver tout-à-coup à la gauche comme des aveugles qui n’ont pas pris garde à leur cécité, soumettons-nous à la règle et ne nous empressons pas de juger.
7. Que fera donc le Seigneur ? « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Je prononce : quelle sécurité ! quelle sécurité pour les bons puisque c’est le Seigneur qui juge en personne ! C’est un juge que nul adversaire ne corrompt, que nul avocat n’éblouit, qu’aucun témoin ne tromperait autant les bons sont tranquilles, autant doivent craindre les méchants. Ils n’ont pas affaire à un juge à qui l’on puisse rien cacher. Pour se prononcer en effet, Dieu ira-t-il – chercher des témoins pour apprendre ce que tu es ? Eh ! comment ne saurait-il pas exactement ce que tu es, puisqu’il savait ce que tu devais être ? C’est toi qu’il interroge et non un autre, sur toi-même. « Le Seigneur, est-il dit, interroge, le juste et l’impie[2]. » Or, s’il t’interroge, ce n’est pas pour être éclairé par toi, mais pour te confondre. Dès lors que nous avons un tel juge, un juge que personne ne saurait tromper ni en notre faveur ni contre nous, vivons de manière à ne pas redouter le jugement qu’il doit rendre, mais à l’espérer et à le désirer. Le froment craint-il d’être mis au grenier ? Ne le souhaite-t-il pas, ne le désire-t-il pas avec ardeur ? Les brebis craignent-elles d’être placées à la droite ? Ah ! plutôt, rien ne leur tarde comme cet heureux moment. C’est du fond du cœur et avec la plus entière sincérité qu’elles disent en priant : « Que votre règne arrive ; » tandis que le méchant, à ces paroles, sent son cœur trembler et sa langue incertaine. Comment peux-tu dire : « Que votre règne arrive ? » Il viendra sans doute, mais que trouvera-t-il en toi ? Vis donc de manière à pouvoir prier tranquillement. Et si tu as conscience de quelque égarement et de quelque péché, tu y trouveras un remède dans ta prière même. « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent [3]. » Si tu es débiteur, Dieu a voulu aussi que tu aies un débiteur. Tu te fais en péchant l’ennemi de Dieu ; n’as-tu pas aussi quelque ennemi ? Remets, et on te remettra. Ce que tu fais, toi sujet au péché, te sera fait aussi par Celui qui ne peut être condamné pour aucun péché. Si au contraire, pauvre mortel plongé dans le péché, tu ne pardonnes pas à qui a péché contre toi ; si tu ne considères pas en lui ta propre fragilité et si dans l’avenir lu ne redoutes aucune chute pour ta faiblesse : comment le traitera Celui qui juge avec l’assurance que donne l’exemption de toute faute ?
8. Il faut donc s’appliquer à avoir une conscience pure, et si nous y sentons quelque embarras, prévenons l’avènement du Seigneur par la confession ; ce sont précisément les paroles que nous avons entendues pendant qu’on chantait le psaume[4]. Prévenons-le dans la crainte qu’il ne nous prévienne. Il ne se vengera point après que nous nous serons confessés ; si nous-mêmes alors nous ne recommençons pas nos iniquités. Préviens-le avant d’être prévenu. Car il est certain qu’il viendra, et tu perdras tout si tu ne désires point ce qu’il apportera. Il viendra même malgré toi, et retarderas-tu son arrivée en t’y opposant ? Il connaissait l’heure où il devait être jugé, il connaît également l’heure où il doit juger. Il viendra donc ; à toi de voir ce que tu seras alors : Tu es aujourd’hui embarrassé ? Confesse-toi aujourd’hui, délivre-toi aujourd’hui de cet embarras, et on te pardonne, et tu es à l’aise. Tu n’as pas à dire que Dieu diffère de pardonner ; hâte-toi plutôt de courir au remède. Je vois dans ton âme quelque chose qui te tourmente ; mais si tu es tourmenté, quelque chose t’est demandé. S’il se trouvait dans ta demeure une pierre qui te choquât les yeux, tu la ferais ôter, surtout dans le cas où tu devrais donner l’hospitalité à un homme qui fût un peu au-dessus de toi. Mais invoquer Dieu c’est l’appeler en toi ; comment y viendra-t-il si tu n’as rien purifié pour le recevoir ? Te sens-tu incapable d’ôter de ton cœur les souillures que tu as contractées volontairement toi-même ? Prie-le de te purifier ; invite-le à entrer. Mais il faut te hâter, maintenant qu’il parle en avertissant et se tait en jugeant.

  1. Mt. 25, 31-32
  2. Ps. 10, 6
  3. Mt. 6, 10, 12
  4. Ps. 94, 2