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égarement ? En d’autres termes, si pour n’avoir pas recherché la brebis qui s’éloignait du divin troupeau, l’évêque qui demeure catholique doit être condamné, que deviendra l’hérétique puisque loin d’avoir rappelé cette brebis errante il l’a jetée dans l’erreur ?
22. Examinons enfin, comme je l’ai dit, de quelle manière Dieu ôte les brebis aux mauvais pasteurs. J’ai déjà rappelé ces mots : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Ce n’est pas eux qui vous paissent alors, c’est Dieu ; car bon gré mal gré, pour obtenir le lait et la laine ils annonceront la parole de Dieu. « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes », dit l’Apôtre à ceux qui enseignent le bien et commettent le mal. Toi, mon frère, écoute le prédicateur, ne dérobe pas, ne l’imite point dans ses larcins. Si tu l’imites dans les actes coupables, ils te servent en quelque sorte de nourriture, mais cette nourriture est un poison. Écoute plutôt ce qu’il te recommande non pas de lui-même mais de la part de Dieu. On ne peut, il est vrai, cueillir le raisin sur les épines, car le Seigneur a dit expressément : « Nul ne récolte le raisin sur des épines, ni la figue sur les ronces [1]. » N’en conclus pas toutefois que tu peux accuser le Seigneur et lui dire : Seigneur, vous ne voulez pas de moi, car il est impossible de cueillir le raisin sur les épines, et d’un autre côté vous m’avez dit de quelques-uns : « Faites ce qu’ils enseignent, gardez-vous de faire ce qu’ils disent », ce qui prouve qu’ils sont des épines. Comment voulez-vous que sur ces épines je cueille le raisin de votre parole ? Le Seigneur en effet te répondrait : Ce raisin ne vient pas des épines. Ne voit-on pas quelquefois une branche de vigne croître, s’entrelacer dans une haie et le raisin suspendu au milieu d’un buisson d’épines, quoiqu’il ne soit pas produit par ces épines ? Si tu es pressé par la faim et que tu n’aies pas d’autres ressources, avance la main avec précaution, prends garde de te déchirer, c’est-à-dire d’imiter les actions des méchants, cueille ce raisin porté parla vigne et suspendu au milieu de ces épines. Profite de cette grappe, les épines sont destinées au feu.
23. « Et j’arracherai mon troupeau de leur bouche et de leurs mains, et désormais il ne leur servira plus d’aliments. » On lit de même dans un psaume : « N’auront-ils jamais d’intelligence, ces ouvriers d’iniquité qui dévorent mon peuple comme on dévore du pain [2] ? – « Il ne leur servira donc plus d’aliment, car voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi-même. » J’ai soustrait mes brebis aux mauvais pasteurs en leur recommandant de ne pas faire ce qu’ils font, de ne pas faire par témérité et par négligence ce que font ces indignes pasteurs. Mais quoi ! à qui confie-t-il ces brebis qu’il leur a soustraites ? Est-ce à de bons pasteurs ? On ne le voit pas. Que concluerons-nous, mes frères ? N’y a-t-il pas de bons pasteurs ? Les Écritures ne disent-elles pas ailleurs : « Je leur donnerai des pasteurs selon mon cœur, « et ils les nourriront d’instruction[3] ? » Comment donc ne confie-t-il pas à de bons pasteurs les brebis qu’il a ôtées aux mauvais ? Pourquoi dit-il, comme s’il n’y avait plus nulle part de bons pasteurs : « Je viendrai les paître ? » 2 avait dit à Pierre : « Pais mes brebis. » Comment expliquer son langage ? En confiant ses brebis à cet Apôtre, il ne lui dit pas : Je les paîtrai et non pas toi ; il lui dit : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis[4]. » Parce qu’il n’y a plus aujourd’hui de Pierre, parce que Pierre est parvenu au repos des Apôtres et des martyrs, est-ce qu’il ne se trouve plus personne à qui le Seigneur puisse dire avec assurance : « Pais mes brebis ? » Serait-il vrai que ne découvrant pas à qui confier son troupeau, que néanmoins il ne veut pas abandonner, il est obligé de s’abaisser jusqu’à le paître lui-même ? On le croirait en lisant ce qui suit : « Voici ce que dit le Seigneur : Je viens moi-même. » Nous lui disions : « Écoutez-nous, ô Pasteur d’Israël, vous qui conduisez, comme un troupeau, Joseph », le peuple établi en Égypte, c’est-à-dire Israël répandu parmi les gentils. Vous savez effectivement que vendu par ses frères Joseph émigra en Égypte[5]. Ainsi les Juifs ont vendu le Christ, et ce n’est pas sans motif que le vendeur Judas était du nombre des Apôtres mêmes. Le Christ commença alors à se répandre parmi les gentils ; il y est honoré, son peuple s’y est multiplié et le divin Pasteur ne l’abandonne pas. « Réveillez votre puissance, disait le Prophète, et venez nous sauver[6]. » C’est ce qu’il fait et ce qu’il fera encore, puisqu’il dit : « Je viendrai moi-même et je rechercherai mes brebis, et je les visiterai comme le pasteur visite son troupeau. » Si les pasteurs mauvais n’ont pas eu soin de mes ouailles, c’est qu’ils ne les ont

  1. Mt. 7, 16
  2. Ps. 52, 5
  3. Jer. 3, 15
  4. Jn. 21, 17
  5. Gen. 37, 23
  6. Ps. 72, 2-3