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de l’explication, que je vous dois, de l’Écriture, voici mon sentiment.L'infirme doit craindre d’être attaqué et renversé par la tentation : le malade est déjà travaillé par quelque passion et empêché par elle d’entrer dans la voie de Dieu, de se soumettre au joug du Christ. Rappelez-vous ces hommes qui ont la volonté de se bien conduire, qui en ont la résolution et qui sont moins bien disposés à souffrir que préparés à faire le bien. Le caractère de la fermeté chrétienne cependant est d’endurer le mal comme de faire le bien, De là il suit que paraître ardent aux bonnes œuvres sans vouloir ou sans pouvoir endurer les souffrances qui surviennent, c’est être infirme ; tandis qu’aimer le monde et être éloigné des bonnes œuvres par une passion quelconque, c’est languir et être malade, c’est un épuisement qui semble ôter entièrement la force de faire le bien. Tel était, dans le sens spirituel, ce paralytique qu’on voulait porter près du Seigneur et qu’on ne put mettre à ses pieds qu’après avoir ouvert une toiture [1] ; c’est-à-dire, en prenant ce trait au figuré, qu’il faut aussi découvrir la toiture pour présenter devant le Seigneur une âme paralysée, une âme quine peut plus rien sur ses membres, étrangère à toute bonne action, accablée sous le poids de ses péchés et sous la langueur de ses passions. As-tu donc affaire à des membres sans vie, attaqués de paralysie intérieure ? Veux-tu les approcher du médecin ? Car il peut arriver que tu ne le voies pas, et qu’il soit cachés ; or le médecin ou le remède est le sens véritable et voilé dans les Écritures ; découvre la toiture en expliquant ce sens caché et descends-y le paralytique. À quoi doivent s’attendre ceux qui n’agissent pas ainsi et négligent de le faire ? Vous l’avez déjà entendu. « Vous n’avez point guéri les malades ni pansé les blessés. » Mais nous avons parlé de cela. Le paralytique était donc consterné à l’idée des tentations. Or voici le remède, voici la ligature qu’il faut à cette âme défaillante, ce sont ces paroles de consolation : « Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera sortir de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. »
14. « Vous n’avez point rappelé celles qui étaient égarées. » Voilà nos dangers au milieu des hérétiques. « Vous n’avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues. » Ainsi nous vivons entre les mains des voleurs et sous la dent de loups furieux ; aussi vous prions-nous de prier pour nous au milieu de tant de périls. Il y a même des brebis qui s’opiniâtrent parce qu’on cherche à les rappeler de leur égarement ; elles prétendent que leur égarement même et leur perte nous les rendent étrangères. Pourquoi nous désirez-vous ? pourquoi nous cherchez-vous ? disent-elles. Comme si leur égarement et leur perte n’étaient pas pour nous un motif de les rappeler et de les chercher ! – Si je suis égaré, si je suis perdu, dit-on, pourquoi me désires-tu ? pourquoi me cherches-tu ? – Je veux te rappeler précisément parce que tu es égaré, et te retrouver parce que tu es perdu. — Mais je veux rester ainsi dans mon égarement et ma ruine. – Tu veux rester ainsi dans ton égarement et ta ruine ! Et moi je ne veux pas : n’ai-je pas raison davantage ? Je dis même plus, je ne craindrai pas de me rendre importun. J’entends en effet l’Apôtre me crier : « Prêche la parole, insiste à temps et à contre-temps [2]. » Près de qui à temps et près de qui à contre-temps ? À temps près de ceux qui veulent, à contre-temps près de ceux qui refusent. Je me rendrai donc importun et je ne crains pas de te dire : Tu veux t’égarer, tu veux périr, et moi je ne veux pas ; il ne le veut pas non plus, Celui dont l’autorité m’épouvante. Et si j’y consentais, vois ce qu’il me dirait, vois quel reproche il m’adresserait:« Vous n’avez pas rappelé celles qui étaient égarées, ni recherché celles qui étaient perdues. » Te redouterai-je plus que lui ? Ne faut-il pas que nous paraissions tous devant le tribunal du Christ ? Je ne te crains pas, car tu ne saurais renverser ce tribunal et y substituer celui de Donat. Je rappellerai donc la brebis égarée, je rechercherai la brebis perdue ; que tu le veuilles ou ne le veuille pas, voilà ce que je ferai. Et si dans mon cœur, je suis déchiré par les épines des forêts, je saurai me rapetisser pour pénétrer partout ; je battrai tous les buissons, et si le Seigneur qui m’effraie me donne assez de forces, j’irai de tous côtés, je rappellerai la brebis égarée, je chercherai la brebis perdue. Pour n’avoir pas à être importun par moi, ne t’égare pas, ne te perds pas.
15. Il ne suffit même pas que je sois attristé de ton égarement et de ta perte ; je crains que prenant peu soin de toi je ne donne la mort aux brebis même vigoureuses. Écoute en effet ce qui suit : « Et vous avez fait mourir ce qui était robuste. » Si je laisse à elle-même celle qui s’égare et se

  1. Mc. 2, 8, 4
  2. 2 Tim. 4, 2