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luise votre lumière devant les hommes, afin qu’ils : voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux [1]. » Et maintenant, si tu avais une lampe allumée dans ta demeure, n’y mettrais-tu pas de l’huile pour l’empêcher de s’éteindre ? Et si après cela ta lampe ne luisait pas, c’est qu’elle méritait, non d’être placée sur le chandelier, mais d’être brisée à l’instant même. Ainsi donc la nécessité commande de recevoir ce qui soutient la vie, et la charité, de le donner ; non que l’Évangile soit une chose vénale ni qu’on en voie le prix dans ce qu’acceptent pour vivre ceux qui l’annoncent ; car le vendre à ce prix serait donner pour rien un bien singulièrement important. Aussi doivent-ils recevoir du peuple la subsistance nécessaire, et du Seigneur la récompense de leur ministère ; le peuple en effet est incapable de récompenser ceux qui le servent avec la charité que prescrit l’Évangile. Que ceux-ci donc n’attendent de récompense que de Celui qui peut seul assurer à ceux-là le salut. Comment alors les mauvais pasteurs sont-ils accusés ? Que leur reproche-t-on ? De négliger le soin de leurs brebis quand ils en mangeaient le lait et qu’ils se couvraient de leur laine, cherchant ainsi leurs intérêts seulement et non ceux de Jésus-Christ[2].
6. Après avoir expliqué ce qu’on entend par manger le lait, examinons ce que c’est que de se couvrir de laine. Donner le lait c’est donner des aliments, et donner la laine c’est rendre honneur. Ce sont les deux choses que demandent au peuple ceux qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis : ils veulent la facilité de fournir à leurs besoins et les faveurs de la renommée et de la gloire. Le vêtement en effet, parce qu’il est destiné à couvrir là nudité, désigne assez bien l’honneur. Chaque homme est infirme, et votre supérieur est-il autre chose que ce que vous êtes ? Il est chargé de chair, il est mortel, il mange, il dort, il se lève, il est né et il mourra comme vous. Si donc tu le regardes en lui-même, il est homme ; mais en l’honorant comme un ange, tu couvres en quelque sorte sa faiblesse.
7. Saint Paul encore avait reçu du fidèle peuple de Dieu cette espèce de vêtement, puisqu’il disait : « Vous m’avez reçu comme un ange de Dieu, et je vous rends témoignage que si la chose eût été possible vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. » Après néanmoins avoir été accueilli avec de si grands honneurs, épargna-t-il ces chrétiens, quand ils s’égarèrent, dans la crainte qu’en les reprenant il n’en reçut moins de gloire et de louange ? Cette conduite l’aurait mis au nombre de ceux qui se paissent au lieu de paître leurs troupeaux et il se serait dit : Que m’importe ? Que chacun fasse ce qu’il veut ; j’ai de quoi vivre et l’on me respecte ; j’ai suffisamment de lait et de laine, que chacun s’en aille où il pourra. – Quoi ! n’as-tu rien à perdre si chacun va où il pourra ? Mais lors même que tu ne serais point pasteur, quand tu serais confondu avec le peuple, n’est-il pas vrai que « si un membre est souffrant tous les membres « souffrent avec lui[3] ? » Aussi en rappelant aux Galates ce qu’ils étaient par rapport à lui, et pour ne paraître point oublier les honneurs qu’ils lui avaient rendus, l’Apôtre atteste qu’ils l’ont reçu comme un Ange de Dieu et que si la chose eût été possible, ils auraient voulu s’arracher les yeux pour les lui donner. Omet-il pour cela d’aborder la brebis languissante, la brebis déjà gangrenée et de tailler au vif, de rejeter la gangrène ? « Suis-je donc devenu votre ennemi, s’écrie-t-il, en vous disant la vérité[4] ? » Lui aussi, comme nous l’avons rapporté précédemment, a mangé du lait des brebis est s’est couvert de leur laine ; mais il n’a pas laissé de s’occuper d’elles ; car il cherchait les intérêts de Jésus-Christ et non les siens.
8. Ah ! gardons-nous donc de vous dire Vivez comme vous l’entendez, soyez sans inquiétude, Dieu ne perdra personne, conservez seulement la foi chrétienne ; non, il ne perdra point ceux qu’il a rachetés, ceux pour qui il a versé son sang ; si vous voulez vous livrer même au plaisir des spectacles, allez : quel mal y a-t-il ? Allez, célébrez ces fêtes que l’on fait par toutes les villes, dans de joyeux festins, dans ces banquets publics où l’on croit puiser l’allégresse tandis que réellement on s’y perd : la miséricorde divine est grande, elle pardonne tout. Couronnez-vous de roses, avant qu’elles se flétrissent[5]. Faites même des festins dans la maison de votre Dieu quand il vous plaira ; gorgez-vous avec vos amis de viandes et de vin, ces aliments vous sont donnés pour en jouir, car Dieu ne les a pas octroyés aux impies et aux païens sans vous les accorder à vous-mêmes. – Si nous parlions de la sorte, peut-être attirerions-nous de plus grandes foules et s’il était des esprits pour comprendre que

  1. Mt. 5, 16
  2. Phil. 2, 21
  3. 1 Cor. 12, 26
  4. Gal. 4, 14-16
  5. Sag. 2, 8