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avantages, mais les avantages des inférieurs dont ils sont les ministres ; et quiconque parmi eux met sa joie à être supérieur, cherche son honneur personnel et n’a pour but que son utilité particulière, celui-là se paît lui-même au lieu de paître ses ouailles. C’est à cette sorte de supérieurs que s’adresse le Prophète. Vous, mes frères, écoutez-le comme étant les ouailles de Dieu et voyez quelles sûres garanties vous a données le Seigneur. Quels que soient ceux qui vous commandent, en d’autres termes quels que nous soyons, le Pasteur d’Israël vous met en complète assurance. Il n’abandonne point ses brebis ; les mauvais pasteurs subiront les châtiments, qu’ils méritent et le troupeau recevra la récompense promise.
3. Examinons maintenant ce que dit aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis, cette parole divine quine flatte personne. « Je vous vois : vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine, et vous tuez ce qui est gras, sans paître mes brebis ; vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées ; vous n’avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues, mais vous avez fait périr celles qui étaient saines et mon troupeau s’est dispersé parce qu’il est sans pasteur. » Ici donc on montre aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis, ce qu’ils convoitent et ce qu’ils négligent. Que convoitent-ils ? « Vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine. » – Mais pourquoi l’Apôtre dit-il : « Qui plante une vigne sans en recueillir du fruit ? Qui paît un troupeau sans profiter de son lait [1] ? » Le lait du troupeau est ainsi tout ce que donne le peuple de Dieu à ses chefs pour soutenir leur vie temporelle : c’est de cela en effet que parlait l’Apôtre quand il a écrit ce que je viens de rapporter.
4. Ce même Apôtre, il est vrai, a préféré vivre du travail de ses mains, sans demander même du lait à son troupeau[2] ; il enseigne toutefois qu’il en avait le pouvoir et que d’après l’institution du Seigneur ceux qui annoncent l’Évangile doivent vivre de l’Évangile. Il ajoute que les autres Apôtres profitaient de ce pouvoir vraiment légitime et non usurpé. Pour lui il faisait davantage et ne recevait même pas ce qui lui était dû[3], accordant ainsi ce à quoi il n’était pas obligé. Si les autres exigeaient davantage, ils y avaient droit, Paul seulement était plus généreux. Peut-être était-il désigné par ce Samaritain qui disait à l’hôtelier en lui confiant un malade : « Si tu dépenses davantage, je te le rendrai à mon retour [4]. » Que dire encore de ces hommes qui n’ont aucun besoin du lait de leurs ouailles ? Ils sont plus miséricordieux, ou plutôt ils pratiquent plus largement le devoir de la miséricorde, car ils le peuvent et ils font ce qu’ils peuvent. Qu’on les loue donc sans condamner les autres. Ce même Apôtre qui ne cherchait pas à recevoir, voulait cependant que ses brebis fussent généreuses et non stériles pour donner du lait. Aussi lorsqu’à une époque de sa vie où il était prisonnier pour avoir prêché la vérité, il souffrait d’un extrême besoin, ses frères lui envoyèrent de quoi subvenir à son indigence et à sa détresse, Or il leur répondit et les remercia en ces termes « Vous avez bien fait de prendre part à mes tribulations. J’ai appris à me contenter de ce que j’ai : je sais vivre dans l’abondance et souffrir la disette ; je puis tout en Celui qui me fortifie. Cependant vous avez bien fait de m’adresser des secours. »
Et pour montrer ce qui lui plaisait dans leur libéralité, pour n’être pas confondu avec ceux qui se paissent eux-mêmes et non leur troupeau, il se réjouit moins d’être soulagé dans sa misère qu’il ne se félicite de la munificence d’autrui. Que voulait-il donc ? « Je ne recherche pas vos dons, dit-il, mais je désire le fruit » que vous en recueillerez[5]. Je ne cherche pas à m’enrichir, mais je veux que vous ne restiez pas stériles.
5. Ceux donc qui ne sauraient imiter l’Apôtre Paul en vivant comme lui du travail de leurs mains, peuvent accepter du lait de leurs brebis pour subvenir à leurs besoins, mais qu’ils n’abandonnent pas ces brebis à leur faiblesse ; qu’ils ne recherchent pas non plus ce soulagement comme leur propre avantage, car ils paraîtraient poussés par l’indigence à prêcher l’Évangile, il faut au contraire que ce soit pour éclairer les hommes qu’ils fassent luire à leurs yeux le flambeau de la parole de vérité. Ils sont en effet comme des flambeaux, d’après ces paroles de l’Écriture : « Ceignez vos reins et tenez vos lampes allumées[6] ; » et ces autres : « On n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu’ainsi donc

  1. 1 Cor. 9, 7
  2. 2 Thes. 3, 8
  3. 1 Cor. 9, 4-15
  4. Lc. 10, 35
  5. Phil. 4, 11-17
  6. Lc. 42, 35