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SERMON XLVI. LE PASTEUR UNIQUE[1].

ANALYSE. – Ce discours est l’un des plus remarquables qui nous restent de Saint Augustin, et son but est de rappeler que l’Église catholique est la seule Église dont Jésus-Christ soit le pasteur. Pour y parvenir il rappelle d’abord avec le Prophète Ézéchiel dont il commente le texte, quels sont les devoirs des vrais pasteurs et quels maux entraîne à sa suite la violation de ces devoirs. Il expose ensuite que Jésus-Christ seul porte remède à ces maux, parce que c’est lui qui vit dans la personne des bons pasteurs, ce qui n’a lieu évidemment que dans l’Église catholique.

— I. Des maux, causés par les mauvais pasteurs. Le pasteur se doit à son troupeau. Sans doute il peut recevoir de celui-ci le soutien de sa vie et des témoignages d’honneur ; cependant il ne doit pas travailler dans ce but. Mais le mauvais pasteur ne s’en propose aucun autre, et son premier défaut est de se paître lui-même en négligeant son troupeau. Secondement, il le tue par ses exemples scandaleux. Troisièmement, il ne le fortifie pas en le prémunissant contre les tentations. Quatrièmement, il ne travaille pas à le guérir en l’excitant à combattre ses passions. Cinquièmement, il ne court point après les brebis égarées. Aussi, en sixième lieu, son troupeau se disperse et s’attache misérablement à tout ce qui est terrestre. – II. Quel remède à tant de maux ? Premièrement, Dieu menace de sa colère les pasteurs négligents qui laissent périr leurs ouailles. Secondement, il invite celles-ci à ne s’attacher qu’à ce qui vient de lui dans les pasteurs indignes, c’est-à-dire à la saine doctrine prêchée par eux. Troisièmement, il paît lui-même son troupeau, il le mène dans les divins pâturages des saintes Écritures. Quatrièmement, il vit dans les bons pasteurs animés de son amour. Cinquièmement, la conduite des Donatistes et le texte de l’Écriture prouvent manifestement que Dieu n’est pas avec ces schismatiques. Sixièmement, ils essaient en vain de citer en leur faveur deux textes sacrés : ces textes les couvrent de confusion et les condamnent, aussi bien que le sot argument emprunté par eux à la conduite de Simon le Cyrénéen.
1. Toute notre espérance repose dans le Christ ; il est lui-même notre véritable et salutaire gloire et ce n’est-pas aujourd’hui que votre charité l’a entendu dire pour la première fois ; vous faites en effet partie du troupeau de Celui qui veille sur Israël et le conduit[2]. Mais comme il est des pasteurs qui cherchent à se glorifier de ce titre sans vouloir accomplir les devoirs qu’il impose, revenons sur ce que nous venons d’entendre lire, méditons ce que Dieu leur dit par la bouche du Prophète. Écoutez avec attention, écoutons nous-même avec tremblement[3].
2. « Et la parole du Seigneur s’adressa à moi disant : Fils de l’homme, prophétise sur les pasteurs d’Israël. » Telle est la lecture que nous avons entendue tout à l’heure, et nous avons résolu d’en entretenir quelque temps votre sainteté. Dieu nous aidera à dire la vérité, en ne parlant pas de nous-mêmes ; car si nous parlions de la sorte, ce serait nous paître nous-mêmes et non pas nos ouailles, au lieu que si nous disons ce qui vient de lui, il vous nourrira lui-même par le ministère de n’importe qui.« Voici ce que dit le Seigneur Dieu : O pasteurs d’Israël qui ne paissent qu’eux-mêmes ! Est-ce que les pasteurs ne paissent pas leurs ouailles ? » C’est-à-dire les pasteurs ne se doivent pas paître eux-mêmes, mais ils doivent paître leurs ouailles. Telle est la première cause des reproches faits à ces pasteurs ; ils se paissent eux-mêmes, au lieu de paître leurs troupeaux. Et quels sont ceux qui se paissent eux-mêmes ? Ceux dont l’Apôtre dit : « Tous recherchent « leurs intérêts et non les intérêts de Jésus-Christ [4]. » Nous en effet que vous voyez dans cette dignité dont il nous faudra rendre un compte si formidable et où le Seigneur nous a élevés par bonté et non à cause de nos mérites, nous avons deux titres, celui de chrétiens et celui de supérieurs. Le titre de chrétiens est pour nous, celui de supérieurs pour vous. Celui de chrétiens a en vue notre avantage, celui de supérieurs n’a en vue que le vôtre. Or il est beaucoup de chrétiens qui arrivent à Dieu par un chemin d’autant plus facile sans doute et d’un pas, d’autant plus alerte qu’ils sont chargés d’un moindre fardeau. Mais nous, indépendamment du titre de chrétiens qui nous oblige à rendre à Dieu compte de notre vie, nous sommes aussi supérieurs et astreints par conséquent à répondre devant Dieu de notre administration. Si je vous expose cet embarras, c’est pour exciter votre compassion et vous engager à prier pour nous. Viendra en effet le jour où tout sera, mis en jugement[5]. Et si pour le monde en général, ce jour est encore éloigné, chacun de nous est proche du terme de sa vie. Dieu néanmoins a voulu nous laisser ignorer et la fin du siècle et la fin de la vie de chacun. Veux-tu ne pas redouter ce jour inconnu ? Fais en sorte qu’à son arrivée il te trouve préparé. Les supérieurs étant donc chargés de pourvoir aux intérêts de leurs subordonnés, ne doivent pas chercher dans leur dignité leurs propres

  1. Eze. 34, 1-16
  2. Ps. 79, 2
  3. Eccl. 12, 14
  4. Ph. 2, 21
  5. Eccl. 12, 14