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6. Voyez aussi quelle n’est pas la bonté du Christ ! Ce même Pierre de qui nous tenons cette sentence était un pêcheur, et aujourd’hui c’est pour un orateur un grand sujet de gloire de pouvoir le comprendre. Aussi l’Apôtre Paul disait aux premiers chrétiens : « Voyez, frères votre vocation : ce n’est pas un grand nombre, de sages selon la chair, ni un grand nombre de puissants et de grands que Dieu a choisis ; mais ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; il a choisi aussi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages ; enfin Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde et les choses qui ne sont rien comme si elles étaient, pour anéantir les choses qui sont[1]. » De fait, si le Christ avait d’abord choisi l’orateur, l’orateur dirait : Ce choix est dû au mérite de mon éloquence. S’il avait choisi le sénateur, celui-ci dirait encore : Ce choix est dû à la dignité qui me distingue. Si enfin il avait d’abord choisi l’empereur, l’empereur dirait à son tour : C’est à ma puissance que je dois cette élection. Que ces grands du monde attendent donc, qu’ils attendent un peu ; on ne les oublie pas, on ne les méprise pas, mais qu’ils attendent quelque temps, car ils pourraient en eux-mêmes se glorifier, d’eux-mêmes. Donne-moi plutôt ce pêcheur, dit le Christ, donne-moi cet homme grossier, cet ignorant, donne-moi cet homme à qui le sénateur dédaigne d’adresser la parole lors même qu’il lui achète son poisson : voilà celui qu’il me faut, car il sera manifeste que c’est moi qui fais tout, quand je l’aurai rempli de moi-même. Sans doute j’appellerai aussi le sénateur, l’orateur et l’empereur, oui j’agirai sur le sénateur, mais sur le pêcheur mon action est plus visible. Le sénateur pourrait se glorifier de lui-même, l’orateur et l’empereur le pourraient également ; le pêcheur ne saurait se glorifier que du Christ. Viens donc, ô pêcheur, viens le premier pour enseigner la salutaire vertu d’humilité ; il conviendra mieux ensuite d’amener l’empereur par ton ministère.

7. Rappelez donc à votre souvenir ce pêcheur saint, juste, bon, rempli du Christ ; et dont les vastes filets jetés sur le monde ont dû retirer de l’abîme ce peuple avec les autres ; souvenez-vous que c’est lui qui a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » Je veux donc un prophète pour juge de notre controverse. De quoi s’agissait-il entre nous ? Tu disais : Je dois comprendre pour croire ; et moi : Crois pour comprendre. Voilà le motif du débat. Cherchons un juge, adressons-nous à un prophète, ou plutôt que Dieu même prononce par la bouche d’un prophète. Maintenant taisons-nous ; on sait ce qui a été dit de part et d’autre. Je veux comprendre, dis-tu, pour croire ; crois, répliqué-je, pour comprendre. Voici le prophète : « Si vous ne croyez, dit-il, vous ne comprendrez pas[2]. »

8. Pensez-vous néanmoins, mes bien-aimés, qu’il n’y a rien de vrai dans cette assertion : Je veux comprendre pour croire. Eh ! que prétendons-nous maintenant, si ce n’est d’amener à croire, non ceux qui ne croient nullement, mais ceux qui ne croient guère encore ? Seraient-ils ici, s’ils ne croyaient pas du tout ? La foi les a amenés à écouter, la foi les rend présents à la prédication de la parole de Dieu ; mais il faut arroser, nourrir et fortifier le germe de cette foi. C’est ce que nous faisons. « J’ai planté, dit l’Apôtre, Apollo a arrosé ; c’est Dieu qui donne l’accroissement. C’est pourquoi ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l’accroissement[3]. » Ainsi en parlant, en exhortant, en enseignant, en persuadant, nous pouvons planter et arroser, mais sans faire croître.C'est ce que savait cet homme avec qui s’entretenait un jour le Seigneur. La foi commençait à germer en lui, elle était tendre et fragile encore, elle était toute tremblante et cependant elle n’était pas entièrement nulle et c’était pour lui venir en aide qu’il disait : « Je crois, Seigneur. »

9. Lorsque tout à l’heure on lisait l’Évangile, vous avez entendu ces mots : « Si tu peux croire, disait le Seigneur Jésus au père de l’enfant, tout est possible à qui a la foi. » Et se considérant soi-même, se posant en face de soi-même, sans se livrer à une téméraire confiance cet homme examine d’abord sa conscience ; il reconnaît qu’en lui il y a quelque peu de foi, mais il voit aussi que cette foi tremble : ni l’une ni l’autre de ces deux choses ne lui échappe. Il confesse donc la première et pour la seconde il demande un secours. « Je crois, dit-il, Seigneur. » Ne devait-il pas ajouter : Aidez ma foi ? Il ne parle pas ainsi. Je crois, Seigneur, dit-il. Je vois ici quelque chose de réel, je ne mens pas ; je crois et je dis vrai ; mais je vois aussi je ne sais

  1. 1Co. 1, 26-29
  2. Isa. 7, 9, sel. les LXX
  3. 1Co. 3, 6-7