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demande une âme humble, il faut être humble pour s’élever jusqu’à sa hauteur. Lis donc avec humilité et comprends qu’il est ton prochain. Le Seigneur n’est-il pas proche de ceux qui ont brisé leur cœur, et ne peux-tu pas dire dans ta prière : « Je cherchais à lui plaire comme à mon prochain et à mon frère[1] ? » Il n’y a donc à changer qu’un mot, le mot de prochain, ajouté par le prophète à celui de frère pour couvrir son langage du voile du mystère ; et il convenait qu’il en fut ainsi pour exciter à chercher avec plus de désir et pour faire découvrir avec un plaisir plus vif. Au nom de prochain substitue donc dans sa phrase le nom du Christ que ce mot de prochain désigne d’une manière prophétique ; et considère comme la pensée se dégage avec clarté, elle coule en quelque sorte de la source même de la vérité pour étancher ta soif. « Sois fidèle avec le Christ dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur. » Que signifie : « Sois fidèle avec le Christ ? » Le voici : pour toi le Christ s’est fait homme, il est né d’une vierge, il a été chargé d’outrages, flagellé, suspendu à la croix, percé d’une lance et enseveli : ah ! ne méprise point ces humiliations, ne les regarde pas comme incroyables, et de cette manière tu seras fidèle avec ton prochain. Voilà en effet en quoi consiste sa pauvreté.« Pour jouir aussi de ses biens » Accueille cette promesse ; elle est l’expression de sa volonté ; accueille-la ; car c’est pour la réaliser qu’il est venu à toi dans la pauvreté ; accueille cette parole de Celui qui pour toi s’est fait pauvre, du Seigneur ton Dieu qui t’enrichit ; vois comme tu jouiras de son bonheur, si tu lui demeures fidèle dans sa pauvreté. « Mon Père, dit-il, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi[2]. »


SERMON XLII. LES DEUX AUMÔNES DU CHRÉTIEN[3].

ANALYSE. – Saint Augustin dit qu’il était malade en commençant ce discours et qu’il trouva en parlant plus de forces qu’il ne s’en croyait. Il enseigne que le vrai sacrifice, du Chrétien est l’aumône et que l’aumône consiste à pardonner et à donner. Il réfute ensuite l’objection que l’on pourrait tirer de ces paroles : « Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme mauvais[4]. » L’homme mauvais est nous-mêmes.


1. J’ai peu de forces, mes frères, mais la parole de Dieu en a beaucoup. Qu’elle les déploie donc dans nos cœurs, et si vous obéissez vous entendrez suffisamment ce que nous vous dirons lentement. La foudre vient d’éclater dans la nuée, le Seigneur a parlé par la bouche du prophète Isaïe, et vous avez dû trembler si vous n’êtes pas insensibles. Le langage est clair, il n’est pas nécessaire de l’expliquer, il faut plutôt le pratiquer. « Que m’importe, dit-il, la multitude de vos sacrifices ? »
Qui jamais vous les a demandés ? C’est nous que Dieu recherche, et non ce qui est à nous. Or le sacrifice du chrétien est l’aumône faite au pauvre, car c’est le moyen d’apaiser Dieu envers les pécheurs. Et si Dieu ne s’apaise envers eux, qui de nous ne sera condamné ? C’est donc par l’aumône que l’on se purifie des péchés et des fautes inséparables de cette vie. Or on fait l’aumône de deux manières, en donnant et en pardonnant, en donnant le bien qu’on a et en pardonnant le mal qu’on souffre. Le Seigneur notre bon maître a présenté en peu de mots les divins enseignements à la terre, afin de les rendre plus féconds et moins onéreux ; écoutez donc avec quelle précision il a parlé de ces deux sortes d’aumônes : « Pardonnez, dit-il, et on vous pardonnera ; donnez et on vous donnera [5]. » Pardonnez et on vous pardonnera, voilà l’aumône du pardon ; donnez et on vous donnera, voilà l’aumône du don. En faisant l’aumône du pardon, tu ne perds rien. Voilà un homme qui s’empresse d’implorer ta clémence, et tu lui pardonnes : qu’as-tu perdu ? Tu rentres au contraire plus riche de charité. Quant à l’aumône que nous sommes obligés de faire en donnant aux pauvres, elle parait plus

  1. Ps. 34, 14
  2. Jn. 17, 24
  3. Is. 1, 11
  4. Ps. 139, 1
  5. Lc. 6, 37-38