Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée

prochain par la fraude, où tu nies un dépôt, où pour une pièce de monnaie tu fais un faux serment ? Le bonheur du jour consiste-t-il pour toi dans un bon repas ? Eh ! comment le jour serait-il bon pour toi si tu es mauvais ? À de mauvais jours tu veux donc ajouter des jours mauvais ?
5. – Qu’on me laisse donc un peu, dit ce pécheur. – Pourquoi ? – Parce que Dieu m’a promis le pardon. – Mais personne ne t’a promis de vivre demain. Tu lis bien dans le Prophète, dans l’Évangile et dans l’Apôtre que Dieu effacera tes iniquités lorsque tu te seras converti montre-moi mais de la même manière quel est le texte sacré qui t’assure du lendemain, et demain je te permettrai de faire le mal. Mais non, mon frère, je ne puis t’adresser ce langage. Peut-être cependant ta vie sera-t-elle longue. Si elle est longue, qu’elle soit donc bonne. Pourquoi chercher une vie à la fois longue et mauvaise ? Mais si elle n’est pas longue, aime alors cette autre vie qui sera vraiment longue, puisqu’elle n’aura pas de fin. Si d’ailleurs elle est longue, comment te repentir d’avoir mené une vie bonne et longue en même temps ? Voudrais-tu mal vivre pendant longtemps ? Voudrais-tu ne pas bien vivre ? Personne toutefois ne t’a promis de lendemain. Corrige-toi, écoute l’Écriture. « Ne diffère pas, dit-elle, de te convertir à Dieu. » Ces paroles ne sont pas de moi et elles sont à moi. Elles sont à moi, si je les aime aimez-les, et elles seront également pour vous. Elles viennent de la sainte Écriture ; méprise-les, elles seront pour toi l’ennemi, l’ennemi avec lequel, dit le Seigneur, il faut t’empresser de te mettre d’accord[1]. Que tous soient attentifs, je répète ici les paroles de l’Écriture divine. Malheureux qui diffères, malheureux ami du jour de demain, écoute le Seigneur quand il parle, écoute l’Écriture quand elle prédit. Je suis ici une sentinelle avancée. « Ne tarde pas de te convertir au Seigneur et ne diffère pas de jour en jour. » — N’est-il pas ici question, n’est-ce pas ici le caractère de ceux qui disent : c’est demain que je commence à bien vivre, je vis mal aujourd’hui ? Demain encore tu tiendras le même langage. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour. Car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance. » Est-ce moi qui ai écrit cela ? Puis-je l’effacer ? et si je l’efface ne serai-je pas effacé ? Je puis le taire sans doute, mais je crains ce silence. Je suis contraint de publier cette vérité, et je communique la crainte qu’elle m’inspire. Partagez ma crainte pour partager ma joie. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu. » Voyez, Seigneur, ce que je dis ; vous savez, Seigneur, que vous m’avez effrayé à la lecture de votre prophète. Vous connaissez, Seigneur, l’effroi dont alors j’étais glacé sur cette chaire. Écoutez, je répète encore : « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour ; car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance. » Or je ne veux pas qu’il te perde.
6. Ne me dis pas : Je veux périr ; car je ne veux pas, moi. Mon refus est préférable à ton vouloir. Je suppose que ton père malade soit tombé en léthargie ; il est entre tes bras et c’est toi qui, jeune encore, dois assister ce vieillard. Le médecin te dit : Ton père est en danger ; ce sommeil est un appesantissement mortel. Attention ! ne le laisse pas dormir ; si tu le vois céder, au sommeil, excite-le ; si c’est peu, va jusqu’à le pincer ; si c’est peu encore, emploie l’aiguillon pour le dérober à la mort. N’est-il pas vrai que malgré ta jeunesse tu ne craindrais point de te rendre importun à sa vieillesse ? Il se laisserait aller aux douceurs d’un sommeil maladif, dans ce lourd assoupissement il fermerait les yeux et tu lui crierais : Ne t’endors pas. Laisse-moi, je veux dormir, répondrait-il. Mais le médecin a dit, répliquerais-tu, qu’il ne faut point te laisser dormir. – Je t’en conjure, reprendrait-il, laisse-moi, je veux mourir. – Et moi je ne le veux pas, dit le fils à son père, à son père qui appelle la mort. Toi donc, tu veux retarder cette mort, tu veux vivre un peu plus longtemps encore avec ce vénérable vieillard condamné pourtant à mourir. Maintenant le Seigneur te crie lui-même : Ne t’endors point pour ne pas dormir toujours, éveille-toi pour vivre avec moi et posséder en moi un père dont tu ne conduiras point le deuil. Tu l’entends et tu es sourd.
7. Sentinelle avancée, qu’ai-je fait ? J’agis libéralement, je ne, vous veux point de mal. Je sais néanmoins que plusieurs diront : Que prétend-il ? Il nous a effrayés, accablés, condamnés. Ah ! j’ai voulu plutôt vous sauver de la condamnation. Il serait pour moi hideux, honteux, pour ne pas dire coupable, dangereux et funeste ; donc il serait pour moi honteux de vous tromper, puisque Dieu ne me trompe pas.

  1. Mt. 5, 25