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SERMON XXXIX. LE DÉTACHEMENT DU MONDE ET L’AUMÔNE.[1].

ANALYSE. – Si le jour de la mort est incertain pour nous, c’est afin de nous tenir constamment prêts à mourir. Comment donc s’attacher aux biens du monde, que l’on est toujours exposé à quitter ? Comment rechercher avec tant d’avidité les richesses, si remplies de périls ? Comment ne les pas distribuer en larges aumônes ? N’est-ce pas le moyen de les conserver sûrement, puisque l’aumône s’adresse à Jésus-Christ même ? Faites l’aumône chacun selon vos moyens, et dans l’intention d’obtenir les grâces nécessaires au salut.


1. Frères, nous l’avons entendu, le Seigneur nous dit par l’organe du prophète : « Ne tarde point de te convertir à Dieu et ne remets point de jour en jour ; car sa colère viendra soudain et il te perdra au moment de la vengeance. » Il t’a promis qu’au jour de la conversion il oublierait tous tes péchés passés ; mais a-t-il promis que tu vivras demain ? Ou bien, Dieu ne l’ayant pas promis, l’astrologue te l’aurait-il assuré pour te faire condamner, avec lui ? Il est utile que Dieu ait laissé dans l’incertitude le jour de la mort ; chacun doit méditer avec avantage sur son dernier jour. C’est par miséricorde que le Seigneur cache à chacun le moment où il mourra ; et si l’on ignore le dernier, c’est pour que l’on sanctifie tous les jours,
2. Mais le monde fait obstacle ; partout il flatte et il attire ; on aime la grandeur de la fortune, l’éclat des honneurs, le respect qu’impose la puissance. On aime tout cela ; que néanmoins on écoute l’Apôtre : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, dit-il, et nous n’en pouvons rien emporter. » C’est aux honneurs de te chercher, non à toi de chercher les honneurs. Car tu dois prendre la dernière place, afin que celui qui t’a invité te fasse monter à une place plus honorable[2]. S’il ne le fait pas, mange où tu es, puisque tu n’as rien apporté dans ce monde. Est-ce peu pour toi de manger le bien d’autrui ? Reste donc en quelque lieu que ce soit et mange. Tu diras : Je mange mon bien. Écoute l’Apôtre « Nous n’avons rien apporté dans ce monde. » En y venant tu as trouvé une table servie. Mais au Seigneur appartient la terre et tout ce qu’elle renferme[3].
3. « Ceux en effet qui veulent devenir riches », dit l’Apôtre. Il ne dit pas : Ceux qui sont riches ; mais : « Ceux qui veulent le devenir », c’est la passion, qu’il condamne, non la richesse. « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Tu aimes l’argent, et tu ne crains pas cela ? C’est une bonne chose que la fortune, une bonne chose qu’une grande fortune. Mais « ils tombent dans la tentation : » tu ne crains pas ? « Ils tombent dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles : » tu n’as point peur ? Crains où mènent ces désirs. Et où mènent-ils ? « Ils plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Et tu restes sourd ? Tu ne crains pas la ruine et la perdition ? Dieu tonne si fort et tu dors si profondément ?
4. A ceux qui sont déjà riches l’Apôtre donne encore un conseil. « Commande, dit-il, aux riches de ce siècle de ne s’enfler, pas d’orgueil. » L’orgueil est le ver rongeur produit par les richesses. Il est difficile au riche de n’être pas superbe. Supprime l’orgueil, les richesses n’ont rien de nuisible. Mais que dois-tu en faire pour ne laisser pas inutiles les largesses du Seigneur ? Tu dois « ne pas t’enfler D’orgueil ; » à bas ce vice ; « n’espérez pas aux richesses fragiles ;» à bas ce vice encore. Après avoir écarté ces désordres, exerce-toi aux bonnes œuvres. Auxquelles ? Écoute : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, continue l’Apôtre, et qu’ils n’espèrent point aux richesses incertaines. » En quoi espéreront-ils ? « Au Dieu vivant qui nous donne « tout abondamment pour en jouir. » Il donne le monde au pauvre, il le donne également au riche. Celui-ci, pour être riche, a-t-il deux corps à nourrir ? Considérez et remarquez comme les pauvres dorment quand ils sont rassasiés des dons de Dieu. Celui qui vous nourrit, les nourrit aussi par vous.
5 Ainsi donc que l’on n’aime pas la fortune mais si on en a, voici ce qu’il en faut faire. Vous qui en avez, enrichissez-vous. En quoi ? « En bonnes œuvres. Qu’ils donnent aisément, dit l’Apôtre, qu’ils partagent. » Je vois d’ici l’avarice se contracter en entendant ces mots :

  1. Sir. 5, 8-9
  2. 2. Lc. 14, 10
  3. Ps. 23, 1