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donc au Seigneur et lui dit : « Bon Maître, qu’ai-je à faire de bien pour obtenir la vie éternelle ? » J’ai du bien, mais il s’échappe de mes mains ; dites-moi comment faire pour en jouir toujours ; dites-moi comment arriver à ne rien perdre. « Si tu veux parvenir à la vie, lui répondit le Seigneur, observe les commandements. » Lesquels demanda-t-il ? Ils lui furent rappelés et il répliqua qu’il les avait gardés depuis sa jeunesse. Le Seigneur, le divin conseiller de la vie éternelle, reprit alors : « Une chose te manque : si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. » — Remarquez, le Seigneur ne dit pas : Jette, mais « Vends, viens et suis-moi[1]. » Cet homme mettait son bonheur dans ses richesses ; s’il demandait au Seigneur le bien qu’il devait faire pour obtenir la vie éternelle, c’est qu’il voulait quitter délices pour délices et redoutait de laisser celles dont il jouissait : il retourna donc plein de tristesse à ses trésors de terre. Il ne voulut pas croire que le Seigneur peut conserver au ciel ce qui sur la terre doit périr. Il ne voulut pas aimer réellement ce qu’il possédait ; en le tenant mal il le laissa tomber, en l’aimant beaucoup il le perdit, Ah ! s’il l’avait bien aimé, il l’aurait envoyé au ciel pour ensuite y aller lui-même. Le Seigneur lui avait montré une maison pour l’y déposer, non un lieu pour l’y perdre : car « où est ton trésor, dit-il encore, là aussi sera ton cœur[2]. »

8. Mais les hommes veulent voir leurs richesses. – Toutefois ne craignent-ils pas de laisser voir les trésors qu’ils amassent sur la terre ? Ils les enterrent, ils les enferment, ils les cachent ; les voient-ils donc après les avoir enfermés et cachés ? Le possesseur même ne les voit pas ; il désire que personne ne les voie, il craint qu’ils ne soient découverts. N’est-ce pas chercher à être riche dans la pensée et non dans la réalité ? Ne semble-t-il pas qu’il suffise à cet homme d’avoir conscience de ce qu’il conserve en terre ? Oh ! que ta conscience serait bien plus à l’aise et en meilleur état si tu conservais ton bien dans le ciel ! Quand ici tu l’as enfoui, tu crains que ton serviteur ne vienne à savoir où, pour l’enlever et s’enfuir. Ici donc tu crains parce que ton serviteur pourrait te le dérober ; mais là rien n’est à craindre, car ton Seigneur est pour toi un sûr gardien. Mon serviteur est fidèle, réponds-tu ; il sait où est mon trésor, mais il ne me trahira pas, il ne me l’enlèvera pas. Compare-le à ton Seigneur. Ton serviteur est fidèle ; ton Dieu t’a-t-il jamais trompé ? Ton serviteur est incapable de dérober, mais il peut laisser périr ; ton Dieu ne peut ni l’un ni l’autre. Il te conserve ton trésor et il t’attend ; il te délivre et t’inspire de l’attendre lui-même ; il ne perdra non plus ni toi ni ce que tu lui confies. Viens, dira-t-il, reçois ce que tu as déposé près de moi. Que dis-je ? il ne te parle pas ainsi. Je t’ai défendu de prêter à usure, dit-il, et à usure je t’ai emprunté. Tu voulais en prêtant accroître tes richesses, tu donnais à un homme pour en recevoir davantage : il était gai en recevant, mais il pleurait en rendant. Voilà ce que tu voulais et je m’y opposais, car c’est moi qui ai loué « celui qui n’a point prêté son argent à usure [3]. » Je t’interdisais l’usure ; je te l’ordonne maintenant ; prête-moi à usure. Ainsi donc te parle ton Seigneur : Tu veux donner peu et recevoir beaucoup ; laisse-là ce malheureux qui pleure quand tu lui réclames ; viens à moi qui suis si heureux de rendre. Me voici ; donne et reçois ; au temps des comptes je te rendrai. Que te rendrai-je ? Tu as donné peu, reçois davantage ; tu m’as donné de la terre, voici le ciel ; tu m’as donné du temps, voici l’éternité ; tu m’as donné ce qui m’appartient, me voici moi-même. En effet m’as-tu rien donné que tu ne l’aies reçu de moi ? Je ne te rendrais pas ce que tu as donné, moi qui t’ai mis en mesure de donner ; moi qui t’ai donné le Christ à qui tu as donné et qui te dira : « Quand vous l’avez fait à l’un de mes petits, c’est à moi que vous l’avez fait[4] ? » Ainsi Celui à qui tu donnes nourrit les autres et il a faim à cause de toi ; il donne et reste dans le besoin. Tu veux bien recevoir quand il donne, et ne donner pas quand il a besoin ! Le Christ est dans le besoin quand le pauvre y est ; il est prêt à donner l’éternelle vie à tous ses serviteurs, et maintenant il daigne recevoir dans la personne de chaque pauvre !

9. Il indique même où tu dois mettre ton bien, il dit le lieu où tu devrais l’envoyer. Pour ne pas le perdre transporte-le de la terre au ciel. Combien ont déjà perdu ce qu’ils voulaient conserver et n’ont pas appris par ces accidents, à prendre mieux leurs précautions ! Que l’on vienne à te dire : Transporte tes richesses d’Occident en Orient, si tu ne veux pas les perdre ; tu es embarrassé en

  1. Mat. 19, 16-22
  2. Id. 6, 21
  3. Psa. 14, 5
  4. Mat. 25, 40