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venez vers les eaux, achetez, sans, payer [1] ? » En achetant tu ne paies pas, et cependant tu achètes. Si tu achètes, tu donnes quelque chose, mais tu ne donnes pas d’argent : tu te donnes toi-même. Voyez dans ces toiles ces ouvrages de lin que tisse la femme forte, ces biens spirituels qu’elle fait connaître à toute la terre. Peut-être aussi faut-il dire qu’elle les vend. « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, dit l’Apôtre, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels ?[2] » C’est ici une compensation ; comme il y en a dans toute vente. L’Apôtre est même peiné de n’avoir pas vendu ses toiles sur quelques marchés publics : « Aucune Église, dit-il, ne m’a fait part de ses biens à titre de compensation[3]. » Or en vendant ainsi, il ne cherche pas le don, mais le fruit ; et vous ne devez point le considérer comme un vendeur d’Évangile. Il est vrai, il exerce le négoce au nom de son Maître et il cherche avec ardeur le prix de ce qu’il vend. Mais il ne vend que des biens spirituels, et que cherche-t-il ? Des biens temporels ? Ils lui sont dus sans doute ; mais ce n’est pas ce qu’il cherche quand il dit : « Je ne cherche pas ce qui est à vous, je vous cherche vous-mêmes.[4] » Donnez donc le prix, donnez-vous en personne. On ne peut pas dire que Joseph ne vendait pas le froment en Égypte, et cependant il faisait de ceux qui en achetaient les serviteurs du Roi[5]. Ceux qui voulaient vivre durant cette l’amine achetaient du froment et devenaient serviteurs. Craignons-nous de le devenir nous-mêmes ? Malheur à nous, au contraire, si nous ne le devenons pas ! Que gagnerons-nous à repousser un Maître comme le nôtre ? Nous tomberons sous le joug du diable et nous endurerons la fin sans échapper au pouvoir de notre légitime Seigneur. Livre-toi donc et achète cette toile, ce vêtement spirituel. Ce sera aussi te donner pour du pain. Lors effectivement que tu t’abandonnes à la volupté, ne t’y livres-tu pas en personne pour jouir de cette vile passion et en quelque sorte pour acheter une courtisane ? Et il t’en coûterait de te donner à Dieu, d’acheter au prix de toi-même le pain vivant qui est descendu du ciel, hélas ! on donne pour une courtisane autant que pour ce Pain unique[6]. « Elle a ourdi des toiles et les a tendues. »
21. « Elle a donné des ceintures aux Chananéens. » Qu’ils se ceignent donc, qu’ils travaillent, qu’ils viennent, qu’ils servent dans cette maison, pour être tous pourvus de vêtements et de nourriture. Si la femme forte a fait des ceintures, c’est pour le travail ; car elle-même en travaillant s’est ceint les reins avec force. Quels sont les Chananéens ? Des peuples étrangers voisins du peuple d’Israël. « Vous qui étiez autrefois éloignés, vous êtes rapprochés par le sang du Christ ; vous qui étiez autrefois étrangers aux alliances, n’ayant point l’espérance de la promesse, et sans Dieu en ce monde, et qui êtes maintenant les concitoyens des saints et de la maison de Dieu [7] ; » recevez ces ceintures et travaillez dans la maison du Seigneur, puisque maintenant vous en êtes membres, de Chananéens que vous étiez. Elle était Chananéenne aussi, cette femme dont il vient d’être parlé dans l’Évangile ; elle était Chananéenne et n’osait approcher de la table des enfants, mais comme le chien elle en recherchait les miettes. Vois comment elle s’est ceinte pour le travail ! Sa foi en effet lui sert de ceinture : « O femme, s’écrie le Sauveur avec admiration, grande est ta foi[8]. »
22. Terminons « Elle est revêtue de force et de beauté. » – De beauté comme de lin ; de force, comme de pourpre : car c’est grâce à sa force qu’elle a versé son sang dans les souffrances. « Aux derniers jours elle est comblée de joie. » C’est faire entendre qu’elle demeure ici longtemps sous le pressoir Comment d’ailleurs ses vêtements seraient-ils teints de pourpre si elle n’était dans les tourments ?
23. « Elle ouvre la bouche avec prudence. » – À nous qui sommes placés dans son sein, qui la louons ; qui lui sommes intimement unis, qui en elle et avec elle attendons son Époux, qu’il soit accordé d’ouvrir aussi la bouche avec prudence, non pas avec légèreté, mais avec attention, avec précaution, avec réflexion. « J’ai été parmi vous dans un état de crainte et de grand tremblement[9]. » Ainsi parle l’Apôtre, et c’est comme s’il disait : J’ai ouvert la bouche avec réflexion. « Notre bouche vous est ouverte, ô Corinthiens[10]. » Elle a ouvert la bouche« avec réflexion ; elle a mis l’ordre dans ses paroles ; » louant la créature comme créature et le Créateur comme Créateur, les Anges comme des Anges et les corps célestes comme des corps célestes, les choses terrestres

  1. Is. 55, 1
  2. 1 Cor. 9, 2
  3. Phil. 4, 15
  4. 2 Cor. 12, 14
  5. Gen. XLII
  6. Prov. 6, 26
  7. Eph. 2, 13, 12, 19
  8. Mt. 15, 21-28
  9. 1 Cor. 2, 3
  10. 2 Cor. 6, 2