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10. « Elle a ceint ses reins avec force, elle a affermi ses bras. » N’est-elle pas véritablement forte, véritablement servante ? Avec quelle ardeur elle sert ! Dans quel costume ! Pour n’être pas gênée dans son travail par la concupiscence, pour ne point fouler inutilement sa robe, elle se ceint les reins. Voilà sa chasteté maintenue par le lien du précepte, constamment elle est disposée à toute bonne œuvre.« Elle a ceint ses reins avec force, elle a affermi ses bras ; » elle ne se fatiguera point. Comment le prouver ? « Elle a goûté combien il est bon de travailler. » Où est le palais qui savoure ainsi le travail ? Les hommes le fuient comme chose amère, et en craignant d’y goûter, ils ne savent à quoi s’attacher. Un bon travail fait une bonne conscience ; et qu’y a-t-il, frères, de plus doux qu’une bonne conscience ? Quelles blessures elle fait quand elle n’est pas bonne ! Comme elle rend tout amer ! Goûte donc, goûtes-y et tu sentiras combien elle est savoureuse, et tu y trouveras tant d’attraits que tu ne pourras cesser sans aller jusqu’au bout. « Elle a goûté combien il est bon de travailler. »
11. « Sa lampe ne s’éteindra pas la nuit. » – « Personne n’allume une lampe pour la mettre sous le boisseau [1]. C’est vous, Seigneur, qui allumerez ma lampe[2]. » La lampe est l’espérance. C’est à cette lampe que chacun travaille ; tout le bien se fait avec espérance. Si cette lampe brûle pendant la nuit, c’est que nous espérons ce que nous ne voyons pas : ainsi il est nuit. Mais si nous n’avons pas d’espoir en ne voyant pas, s’il est nuit et que notre lampe ne soit pas allumée, quoi de plus triste que de semblables ténèbres ? Afin donc de ne pas nous perdre pendant la nuit et d’espérer avec patience ce que nous attendons sans le voir, que notre lampe brûle toute la nuit. Nous adresser chaque jour la parole, c’est mettre de l’huile à notre lampe pour l’empêcher de s’éteindre.
12. « Elle a étendu ses mains à des œuvres utiles. » – Jusqu’où les a-t-elle étendues ? – « D’une mer à l’autre et du fleuve jusqu’aux extrémités de l’univers[3] », où elle est parvenue. Ce n’est donc pas en vain qu’il lui a été dit : « Étends-toi à droite et à gauche[4]. Elle a étendu les mains ; » mais « à des œuvres utiles. »
13. « Elle a aussi affermi ses bras pour tourner le fuseau, fusum. » Ce mot n’appartient pas ici au verbe infundere, verser ; il désigne cet instrument destiné à filer la laine et que l’on nomme fuseau. Je vous dirai sur ce fuseau ce que Dieu me donne ; car cette sorte d’instruments n’est pas étrangère aux hommes. Que signifie donc : « Elle a affermi ses bras pour tourner le fuseau ? » On aurait pu dire : pour tenir la quenouille ; on a préféré le fuseau, et peut-être n’est-ce point sans motif. Ici sans doute on peut croire avec raison que le mot fuseau désigne les ouvrages de laine et que ces ouvrages eux-mêmes expriment les bonnes œuvres auxquelles s’applique cette chaste mère de famille, cette femme soigneuse et vigilante : je ne vous déroberai pas cependant, mes frères, ce que je pense de ce fuseau. Aucun de ceux qui s’appliquent aux bonnes œuvres au sein de la sainte Église, c’est-à-dire qui ne négligent pas mais accomplissent les divins commandements, ne sait ce qu’il fera demain ; il sait néanmoins ce qu’il a fait aujourd’hui. Il craint pour ses œuvres futures, il est content de ses actes passés, et il veille pour persévérer dans le bien : il a peur qu’en négligeant l’avenir, il ne perde le passé. Quand il prie Dieu, dans toutes les suppliques qu’il lui adresse, sa conscience n’est point rassurée sur l’avenir, mais sur le passé ; elle l’est sur ce qu’il a fait, non sur ce qu’il fera. Si maintenant vous pensez comme moi sur ce point, considérons deux choses dans l’instrument dont il est question : la quenouille et le fuseau. Pour se filer et passer sur le fuseau, la laine est roulée autour de la quenouille. On peut donc voir dans ce qui est routé autour de la quenouille l’image de ce qui doit arriver ; et l’image de ce qui est arrivé dans ce qui est roulé autour du fuseau [5] : et tes œuvres sont sur le fuseau, non sur la quenouille ; puisqu’à la quenouille s’attache ce que tu dois faire, et au fuseau ce que tu as fait. Examine donc si tu as au fuseau de quoi l’affermir les bras, de quoi assurer ta conscience, et t’inspirer la confiance de dire a Dieu : Donnez-moi, puisque j’ai donné ; pardonnez-moi, puisque j’ai pardonné ; faites, puisque j’ai fait. Tu ne peux en effet demander la récompense qu’après avoir agi, et non auparavant ; et quoique tu fasses, regarde constamment le fuseau. Ce que porte la quenouille doit passer au fuseau ; mais ce que porte le fuseau ne doit pas revenir à la quenouille. Donc attention à ce que tu fais, pour le mettre sur le fuseau, pour que ce fuseau t’affermisse les bras, pour que toute la laine s’y roule bien filée,

  1. Mt. 5, 16
  2. Ps. 17, 29
  3. Ps. 71, 8
  4. Is. 54, 3
  5. Le lecteur remarquera cette allusion chrétienne à la poétique allégorique des Parques.