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opulence temporelle, terrestre et visible. Ce n’est pas cette opulence que j’ai en vue ; voici celle dont je parle : « Le riche rachète son âme par ses richesses. » Ainsi donc ceux qui ne rachètent pas leur âme parce qu’ils sont pécheurs tout en faisant les justes, en d’autres termes, parce qu’ils sont hypocrites, ce sont ceux-là dont il est dit : « Tels font les riches quand ils n’ont rien ; » ils veulent paraître justes quand ils ne portent pas dans le secret de leur conscience l’or de la justice. Il y a aussi des hommes véritablement riches, d’autant plus humbles qu’ils sont plus riches ; ce sont ceux dont il est dit : « Heureux les pauvres de gré, car le royaume des cieux est à eux [1]. »
8. Pourquoi chercher alors des richesses qui ne flattent que les yeux de l’homme, que les yeux du corps ? L’or est beau, mais la foi est plus belle. Choisis de préférence ce que tu dois avoir dans le cœur. Sois riche à l’intérieur ; c’est là que Dieu voit tes trésors quoique l’homme ne les y voie pas. Mais de ce que l’homme ne les v voie pas, n’en conclus pas que tu dois les dédaigner. Veux-tu t’assurer qu’aux yeux même des impies la foi est plus belle que l’or ? Quelles louanges n’accorde pas à un esclave fidèle un maître même avare ? Il n’y a rien de plus précieux que lui, dit-il ; absolument même il est sans prix. J’ai un serviteur, s’écrie-t-il, il n’a pas de prix. Tu voudrais savoir pourquoi ? Est-ce parce qu’il danse bien, parce qu’il est excellent cuisinier ? Non, vois son mérite intérieur. Rien, dit le maître, n’est plus fidèle. Comment, mon ami ? Tu aimes un serviteur fidèle, et tu ne veux pas être pour Dieu un fidèle serviteur ? Tu remarques que tu as un serviteur, remarque aussi que tu as un Seigneur. Tu as pu acheter ton serviteur, non le créer. Ton Seigneur t’a créé par sa parole et racheté par son sang. Si tu t’estimes peu, rappelle ce que tu coûtes, et si tu l’as encore oublié, lis l’Évangile, c’est ton titre. Tu aimes la foi dans ton serviteur, et ton Maître ne la chercherait pas dans le sien ? Rends ce que tu exiges ; fais pour ton supérieur ce que tu aimes de ton inférieur. Tu aimes ton serviteur parce qu’il garde fidèlement ton or ; ne méprise pas ton Seigneur parce qu’il garde miséricordieusement ton cœur. Tous donc ont des yeux pour admirer la foi, mais c’est quand ils la réclament pour eux-mêmes. Quant au contraire on l’exige d’eux, ils ferment les yeux et refusent de voir combien elle est belle. Seraient-ils assez insensés pour avoir peur de la perdre, lorsqu’ils ne veulent pas la garder à autrui ? Si un homme craint de donner de l’argent, c’est qu’il ne l’aura plus après l’avoir donné ; il n’en est pas ainsi de la foi : on en paie la dette et on en conserve le trésor. Que dis-je ? et quelle merveille ! Si on ne paie pas on perd.
9. L’homme rachète son âme par ses richesses. » Il était juste que pour nous détourner de faire comme lui, Dieu jetât le mépris sur ce riche insensé qui avait hérité de vastes et fertiles domaines et qui fut plus inquiet de se voir dans l’abondance, qu’il ne l’eût été dans l’indigence. Il réfléchit en lui-même et se dit : « Que ferai-je pour serrer mes récoltes ? ». Et après s’être bien tourmenté, il crut enfin avoir découvert un moyen : vain moyen ! Voici le moyen découvert, non par sa prudence, mais par son avarice. « Je détruirai mes anciens greniers, dit-il, j’en ferai de nouveaux et de plus grands, je les remplirai et je dirai à mon âme : Mon âme, tu possèdes beaucoup de biens, rassasie-toi, réjouis-toi. — Insensé ! » lui dit-on, oui insensé en cela même où tu crois faire preuve de sagesse, insensé, qu’as-tu dit ? – Je dis à mon âme : « Tu possèdes beaucoup de biens, rassasie-toi. – Cette nuit on t’ôtera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il [2] ? »« En effet que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il perd son âme[3] ? » Aussi l’homme rachète son âme par ses richesses. Mais ce fat, cet insensé n’avait pas cette sorte de richesses car il ne rachetait point son âme par l’aumône et il amassait des fruits qui allaient se perdre. Oui, il amassait des fruits qui allaient se perdre ; il allait se perdre lui-même en ne donnant pas au Seigneur près de qui il devait comparaître. Eh ! avec quel front se présentera-t-il à ce jugement où il entendra : « J’ai eu faim et tu ne m’as point donné à manger ?[4] » Il voulait charger son âme de mets superflus, trop nombreux, et dans son orgueil insolent il méprisait tant de pauvres affamés. Ignorait-il qu’entre les mains de ces pauvres ses richesses eussent été plus en sûreté que dans ses greniers ? Ce qu’il entassait dans ceux-ci pouvait être enlevé par les voleurs ; ce qu’il aurait confié aux pauvres quoiqu’ensuite rejeté sur la terre, se serait conservé sûrement dans le ciel. Ainsi « l’homme rachète son âme par ses richesses.
10. Que lisons-nous ensuite ? « Le pauvre ne

  1. Mt. 5, 8
  2. Lc. 12, 16-20
  3. Mt. 16, 26
  4. Id. 25, 42