Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il s’appuie sur ces richesses fragiles. Ah ! s’il en considérait avec prudence la fragilité, jamais il ne s’élèverait, toujours il serait dans la crainte ; plus il serait riche, plus redoubleraient ses soucis, non-seulement au point de vue de son salut, mais au point de vue même de la vie présente. Combien de pauvres plus en sûreté au milieu des révolutions du siècle ! Combien de riches poursuivis et saisis à cause de leurs richesses ! Combien ont regretté d’avoir possédé ce qu’ils ne pouvaient posséder toujours ! Combien se sont repentis de n’avoir pas suivi ce conseil de leur Seigneur ; « Ne cherchez pas à vous amasser des trésors sur la terre, où rongent les vers et la rouille, où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel [1] ! » Je ne vous dis pas de les jeter, mais de les placer ailleurs. Combien donc n’ont pas suivi ce conseil et s’en sont repentis, non-seulement après avoir tout perdu, mais encore après s’être perdus eux-mêmes à cause de leurs richesses ! Ainsi « ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil », et l’on verra en eux ce que dit le proverbe de Salomon : « Tels s’humilient quand ils sont riches ; » ce qui peut se faire lors même qu’il s’agit des richesses temporelles. Que le riche soit humble ; qu’il se félicite plus d’être chrétien que d’être riche ; qu’il ne s’enfle pas, qu’il ne s’élève pas, qu’il fasse attention à son frère qui est pauvre, qu’il ne dédaigne point d’être appelé le frère du pauvre. Si riche qu’il soit, le Christ est plus riche encore, et le Christ a voulu avoir les pauvres pour frères, pour eux il a répandu son sang.
6. Il fallait pourtant ôter aux riches le prétexte de dire qu’ils ne savent comment employer leurs richesses : l’Apôtre invite donc Timothée à les diriger par ses conseils après les avoir liés par ses ordres ; et après avoir dit : « de ne pas mettre leurs espérances dans des richesses incertaines », il ajoute, pour leur épargner la crainte d’avoir perdu tout espoir : « mais au Dieu vivant, qui nous donne abondamment toutes choses pour en profiter : » les choses temporelles pour en user, les éternelles pour en jouir. Et que feront-ils de leurs richesses ? « Qu’ils soient, dit-il, riches en « bonnes œuvres, qu’ils donnent aisément ; » qu’ils trouvent dans leurs richesses le moyen de pouvoir n’être pas difficiles à donner ; le pauvre en a la volonté sans le pouvoir ; le riche le peut quand il le veut ; « qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent, qu’ils se fassent un trésor qui soit une bonne ressource pour l’avenir, afin d’acquérir la vie éternelle[2] : » car celle-ci est fausse. Trompé par cette fausseté de la vie, le riche vêtu de pourpre et, de fin lin méprisait le pauvre couvert d’ulcères qui gisait à sa porte. Mais cet infortuné dont les chiens léchaient les plaies se préparait un trésor éternel dans le sein d’Abraham : s’il n’avait pas grandes ressources, il avait une volonté pieuse et excellente. Et ce riche, qui se croyait grand avec sa pourpre et son fin lin, mourut et fut enseveli dans l’enfer. Et qu’y trouva-t-il ? Une soif éternelle, des flammes qui ne s’éteignent point. Le feu remplaça la pourpre et le lin, et il ne pouvait se dépouiller de cette tunique brûlante. Aux banquets a succédé la faim et il demande une goutte d’eau au pauvre, comme le pauvre lui a demandé les miettes tombées de sa table. L’indigence de celui-ci n’a fait que passer ; le supplice de celui-là durera toujours[3]. Soyez-y attentifs, riches de ce inonde, et ne vous enflez pas d’orgueil ; donnez aisément ; partagez, amassez-vous un trésor qui soit une bonne ressource pour l’avenir où sont les vrais riches, mais non les riches de ce monde ; « afin d’acquérir la vie éternelle. »
7. On peut donc croire que la pensée de l’Écriture quand elle dit : « Tels font les riches quand ils n’ont rien », a en vue les superbes couverts de haillons. Car si l’on a peine à souffrir un riche superbe, qui pourra endurer un pauvre orgueilleux ? Ainsi mieux valent ceux qui s’humilient quand ils sont riches.L'Ecriture montre néanmoins qu’elle parle d’une autre sorte de richesses. Elle ajoute aussitôt : « Le riche rachète son âme par ses richesses, le pauvre ne souffre pas les menaces. » Ici donc nous devons voir je ne sais quelle autre espèce de riches, je ne sais quelle autre espèce de pauvres. Il est en effet des riches plus solides, qui sont riches dans le cœur, remplis de force-, magnifiques de piété, somptueux en charité, opulents en eux-mêmes, opulents à l’intérieur. « Il en est aussi qui font les riches, quoiqu’ils soient pauvres ; » ils se croient justes, quoiqu’ils soient couverts d’injustices. C’est cette espèce de richesses, que nous devons entendre ici. L’Ecriture s’en explique suffisamment quand elle dit : « Le riche rachète son âme par ses richesses. » Comprends, semble-t-elle dire, quelle opulence je te propose. J’ai dit« Tels font les riches quand ils n’ont rien ; tels s’humilient quand ils sont pauvres ; » et tu pensais à cette

  1. Mt. 6, 19-20
  2. 1 Tim. 6, 17, 19
  3. Lc. 16, 19-26